La belle au bois dormant dort-elle vraiment ? Neurophysiologie des contes de fée

Nous fûmes longtemps des primitifs, pour tout ce que nous ne comprenions pas nous bâtissions des explications merveilleuses, fantastiques. Ainsi, si la Belle au bois dormait, c’est qu’elle était victime d’un sort.

Si nous entendions des bruits la nuit, ce devait être le fait des lutins. Si les contes son peuplés de nains et de géants, c’est expliqué par la courbe de Gauss, nous explique notre auteur neurologue, elle permet de visualiser la distribution statistique des tailles d’une population et de repérer « la norme », soit la moyenne des tailles (l’air de rien, l’auteur nous susurre la leçon suivante : être normal c’est être dans la moyenne, au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable !). Citation : « Notre cerveau est un statisticien qui s’ignore, et il connaît les limites de ce qui est acceptable ». Il est accroché par ce qui sort de la moyenne, ce sont forcément des monstres. Voilà pourquoi les contes seraient peuplés d’inacceptables nains et géants…

Le cerveau sait tout

On nous avait dit que le cerveau pense, qu’il prévoit, suppute, enregistre, imagine, on ne savait pas qu’il était aussi mathématicien, et qu’il distingue ce qui est bon de ce qui est mauvais. Il aurait donc un sens moral ! Voici autant de licences poétiques qu’on s’étonne de rencontrer chez un vrai scientifique qui tient dur comme fer à distinguer le réel, le vrai des fantasmagories de notre pauvre imagination. Voilà que notre cerveau devient un vrai personnage de roman ! De neuroscientifique, Laurent Vercueil risquerait-il de se retrouver neuroscientiste ? 

Car enfin, on ne peut soutenir que le cerveau pense, pas plus qu’un ordinateur. On peut constater des activités électriques et chimiques dans certaines zones du cerveau lorsqu’un sujet déclare penser, de là à soutenir que le cerveau pense, il y a plus qu’une licence poétique ! J’ai coutume de poser cette comparaison : si dans le moteur d’une voiture j’enlève les bougies, je constate qu’elle n’avance plus. DONC ce serait les bougies qui font avancer l’automobile… Idem pour le cerveau… Tout est dans l’inférence… 

La démarche scientifique consiste à simplifier : l’objet de la science est le résultat d’une analyse, l’objet d’une expérimentation est abstrait du réel, il doit s’adapter aux conditions du laboratoire. D’où le risque de tomber de la simplicité dans le simplisme. Illustration : les spécialistes du cerveau clament que c’est lui qui pense, les spécialistes des intestins décrivent un système nerveux intestinal, dit entérique, qu’ils qualifient de deuxième cerveau… Penserait-on aussi avec son estomac ?

Les contes décrivent des pathologies neurologiques

Entrons plus avant dans le livre… Concernant la Belle, notre auteur commence par mener son enquête. Il nous explique que tout scientifique doit, à la manière de Sherlock Holmes, dénoncer toutes les hypothèses fallacieuses de ses éminents collègues. Non, le fuseau de la Belle n’était pas enduit de curare, elle n’est pas victime d’un avc, ni d’une hypersomnie idiopathique, encore moins du syndrome de Kleine-Levin, elle souffre de narcolepsie ! Voilà qui éclaire notre lanterne ! Nous voilà revenus sur terre, débarrassés de nos illusions moyenâgeuses… « Et voilà pourquoi votre fille est muette » ; à cause de l’âcreté des humeurs…

Telle est la démarche du neurologue Laurent Vercueil. Ce qui l’intéresse, déclare-t-il, « c’est comment l’imaginaire a pu se saisir de cas cliniques pour les intégrer dans des récits qui ont survécu dans la tradition orale ». Plus précisément : « comment un trouble neurologique a pu conduire à l’édification de figures stéréotypées », celles qu’on retrouve dans les contes comme dans les œuvres des écrivains.

On a reproché à Laurent Vercueil, un peu naïvement, de tenter de nous priver du merveilleux, il a cette réponse : « l’inconnu qui se dévoile qui laisse transparaître ses mécanismes sous l’apparence est souvent éblouissant. La science détient ce pouvoir d’émerveillement ». Le seul émerveillement qui vaille serait scientifique. Il semblerait que notre auteur poursuit un projet pan-scientifique : hors la science point de salut ! Nous voilà renvoyés aux beaux temps du scientisme, à notre fin du XIXème siècle où la science ferraillait avec une religion encore puissante.

Le sous-titre même du livre est une douce déclaration de guerre : neurophysiologie des contes de fées singe le titre du célèbre livre du psychanalyste Bruno Bettelheim : psychanalyse des contes de fées. Sans doute espère-t-il bénéficier de son ombre portée ? Notre auteur fait dire à Bernadette Bricout, auteur de La clé des contes, qui n’en peut mais : « l’interprétation psychanalytique des contes en propose une lecture fantasmatique ». On relèvera la délicieuse maladresse du propos : bien sûr qu’il s’agit d’explorer les fantasmes qui président aux contes !

Au milieu de lieux communs, de platitudes sur le féminisme notamment, on apprend donc que les possédés ne sont pas agités par un démon : ils souffrent d’une glossolalie typique de l’aphasie de Wernicke, du MAI (mouvements anormaux involontaires) que l’on rencontre en neurologie suite à une infection virale ou une épilepsie, peut-être bien une encéphalite auto-immune (au choix !). Les lutins sont en fait des somnambules espiègles, et amnésiques comme il se doit. Les zombies souffrent d’une atteinte cérébelleuse due à l’ingestion d’un toxique. Les fantômes sont le jouet d’une illusion due aux imperfections de notre vision nocturne, c’est notre cerveau qui nous donne la sensation de la présence des disparus, à cause de « la trace neurologique de leur existence dans notre cerveau » (combien de morts s’agitent ainsi sous notre boite crânienne ?) … Le visage des elfes ressemble vraiment aux patients atteints d’une malformation de l’aorte… et le reste à l’avenant.

Un « cérébralisme »

Tout vient du cerveau, c’est lui qui commande ! D’où provient ce « cérébralisme » ? N’y aurait-il pas, là aussi, un travers de ce merveilleux auquel nous tenons tant, que dénonce notre auteur, quitte à prendre des vessies pour des lanternes ? Un merveilleux à dénicher afin de lui faire un sort (pardonnez ce mot de sorcier !) ? Afin de le dégonfler ? Tentons une enquête étymologique.

Le chef, du latin caput (« tête ») est celui qui marche en tête. La tête, du latin testa est le pot qui contient l’organe capital, de l’indo-européen commun kaput (« tête »), encore, c’est à dire le cerveau, lui-même provenant du radical indo-européen commun *Kerr (« tête »). On n’en sort pas ! Il y aurait donc un imaginaire occidental suivant lequel le chef, la tête, c’est capital ! D’où dérive le mot « capitalisme », utilisé sans doute pour signifier que le fric c’est capital ! Voilà un conglomérat imaginaire qui met de l’ordre, depuis la tête qui commande jusqu’aux pieds qui marchent au pas, comme on sait.

Nous ajouterons que les neurosciences, en expliquant la nature biologique des choses contre lesquelles on ne peut rien, nous enseigne la soumission à un ordre du monde (belle continuité : de divin, l’ordre est devenu scientifique). Elles doivent leur succès actuel au fait qu’elles sont solubles dans le libéralisme capital et qu’elles savent en profiter. Alors que la psychanalyse défend un sujet non assujetti, sujet de son histoire et de ses désirs, c’est dire qu’elle cache en son sein une inspiration républicaine de mauvais aloi.

On a dit de Hubert Reeves (paix à son âme s’il en eut) qu’il était poète en cosmologie, on ne dira pas de Vercueil qu’il l’est en neurologie ! Ce que, d’ailleurs, il prendrait sans doute pour une insulte, au mieux pour une inanité.

Mathias Lair

Laurent Vercueil, La Belle au bois dormant dort-elle vraiment ? Neurophysiologie des contes de fées, Alpha/Humensis, octobre 2023, 235 pages, 9 euros

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