La chute de Dante

Faut-il exacerber les sens de l’artiste pour qu’il produise une œuvre supérieure ? C’est le propos de La Chute de Dante, une BD pornographique, mais pas que. Si elle n’est à ne pas mettre toutes les mains, elle pose une vraie question sur le principe créatif.

Un artiste en attente

Dante a une vie tranquille dans un petit village. Il vit isolée dans une grande maison avec sa femme, son chien et deux enfants particulièrement retors. Il consacre tout son temps à la peinture, produisant une œuvre qui satisfait ses amis mais pas les galeristes qui comptent. Il vend, modestement, et vit de la même manière. Ses élans de désir sont bridés par la vie de famille, c’est sans doute ce qui va créer une faille en lui.

Un soir de mise en avant de ses œuvres à l’auberge du village, il rencontre Judith, une femme surprenante parce qu’elle ose faire (le masturber pour libérer sa créativité…) et parce qu’elle promet. Avec elle, grâce à elle, il atteindra l’Art. Sa promesse sitôt mise en branle, le lendemain elle lui offre une et très jolie femme pour modèle, qui se mettra à nue et s’offrira devant lui quelques plaisirs solitaires. Un parcours de sexe toujours plus excitant s’ouvre devant lui, ainsi que l’espoir de rejoindre une communauté d’immortels et de jouisseurs.

Dis comme cela, cela semble plus tentant que le train-train quotidien…

L’inspiratrice

La relation avec Judith tourne à la débauche. Mais ses toiles, que le rouge occupe de plus en plus.

La Chute de Dante repose sur le principe duel de la muse et de la succube. Si l’un peut être castratrice par la vie de tous les jours, l’autre l’est par l’épuisement qu’elle exige, dans sa fougue sexuelle et dans son art. Et l’art produit par le débridement de tous les sens est-il vraiment celui qui était caché au fond de soi ou bien celui qu’engendre le vice et la luxure ?

Quelle différence y a-t-il entre un peintre et un artiste ? Quels sacrifices — voire quels pactes ! — doit-on faire pour passer de l’un à l’autre ? Et doit-on, au passage, y laisser son âme ? Voilà autant de question que Dante va se poser, et le lecteur avec lui, qui avance dans un album où le sexe prend une place de plus en plus importante, quitte à obnubiler l’artiste et à envahir toutes les pages. Ici, la pornographie n’est pas un simple exposé cru d’organes et d’accouplements, c’est le moyen de corrompre une âme et en même temps de la libérer.

Loic Di Stefano

Manolo Carot González, La Chute de Dante, traduit par Eloïse de La Maison, Glénat, « Porn’pop », mars 2022, 56 pages, 16,95 euros

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