La fée, la pie et le printemps, fausse Fantasy victorienne

Élisabeth Ebory ressort son premier roman La fée, la pie et le printemps en poche chez Hélios.

Parce qu’on aime les univers imaginaires à Boojum, on ne pouvait pas rater cette réédition. Issue de l’univers francophone de la Fantasy, où elle a publié des recueils ou participé à des anthologies (chez Oxymore, Dreampress, Asgard ou Griffe d’encre), Élisabeth Ebory nous surprend avec un premier roman maîtrisé, initialement paru dans la collection badwolf en 2017 : La Féé, la pie et le printemps.

Dans une ambiance victorienne nuancée, elle nous embarque dans un roman d’aventures étonnant. Où deux fées aux caractères opposés, Rêvage et Philomène, nous embarquent dans une intrigue maline et plus complexe qu’il n’y parait. Juin 1837, date symbole en Angleterre, c’est la naissance de la reine Victoria. Elle marque le début d’un modèle de société occidentale hégémonique et corsetée. Et c’est bien là le nœud du problème. Dans l’univers d’Élisabeth Ebory, le monde des légendes a été confiné depuis des lustres. Une mise sous clé dans un ailleurs assombri, où les êtres magiques sont prisonniers, leurs pouvoirs limités.

Où qu’elle soit, la prison est perdue dans un épais brouillard, et ses habitants aussi. Ils sont fées et démons, monstres et merveilles, et tous rêvent de retrouver un jour la terre des hommes — les terres fermes. Malheureusement, ils sont enchaînés par de solides liens : les légendes.

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Seules des passerelles, les raccourcis scintillants, ou des émissaires spéciaux comme les changellings, sont capables,a priori, de transpercer les mondes. Cependant…

Un retour aux sources du conte

Car pour Rêvage, fée puissante et déterminée, le seul moyen de résoudre la situation est, non seulement de s’évader, mais de bouleverser l’ordre des choses. De régner sur les deux mondes. Être la marraine fée ultime, celle qui sera capable de placer une graine de fée dans le berceau royal, commettre le sacrilège ultime de changer les destins, les enfants…

Mais entre le projet, le complot et son accomplissement, il y a un monde, justement. Le notre, appelé les terres fermes. Malgré toute sa puissance, Rêvage est contrecarrée par une improbable fée. A priori insouciante : Philomène. Pire encore, elle a rencontré un trio, bientôt quatuor, d’humains aux profils bigarrés. Vik, Clem, Od et S. Qui va du tueur résilient au cuisinier excécrable et sera, on s’en doute, le ressort sur lequel elle s’appuiera quand son chemin vers Londres se confrontera à celui de Rêvage.

Car sous son air diaphane, éthéré et hautain, Philomène a plus d’un tour dans son sac. Une clé polymorphe, de l’encre magique, un étrange chaudron d’or. Mais aussi un certain penchant pour la poisse et les malédictions…collantes. Mais cela ne l’empêche pas, elle aussi, d’avoir un objectif…

Un vent de fraîcheur

Ainsi, sous ses dehors de light fantasy un brin convenue, aux dialogues parfois naïfs, il ne faudrait pas négliger La Fée, la pie et le printemps. Considérer que ce premier roman, à trop vouloir bien faire, se perd dans ses références classiques à la fantasy victorienne, ses sources et ses références.

Car, l’ambiguïté règne en maîtresse ici. Les figures féminines, puissantes ou faussement ingénues, disent beaucoup sur la richesse des personnalités en jeu dans la matrice même des mondes, du monde. L’enfantement, l’enchantement, la désillusion et l’illusion, sont au cœur du motif qui se tisse dans le récit. Et le thème de la parque, de la magicienne tisserande, qui tente coûte que coûte d’orienter le fil du destin, pour la survie des siens et de tous, est bien l’une des trames qui est contée ici. Réconcilier réel et irréel, monde naturel et industriel !

Entre Lord Dunsany, son éthérée et tragique Fille du roi des elfes, et le moderne Jonathan Strange et Mr Norell de Jonathan Clarke, ce premier roman de Élisabeth Ebory ravira plus d’un lecteur, enchantera plus d’une lectrice. Au-delà du folklore, arpentez ses chemins de traverse, des tavernes de Londres aux prisons des fées, le voyage vaut le coup d’œil !

Révérence et chapeau bas, Madame !

Marc-Olivier Amblard

Élisabeth Ebory, La Fée, la pie et le printemps, ActuSF, « Hélios », n°129, mai 2019, 8,90 eur

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