Les jardins statuaires, terre inconnue
Un auteur qui suscite la curiosité
Membre du mouvement surréaliste, auteur de romans érotiques, influencé par Charles Duits et son roman Ptah Hotep (Denoël, 1980), Jacques Abeille a écrit dans les années 70 Les Jardins statuaires, devenu par la suite le premier volume du cycle des contrées. Commence alors une histoire rocambolesque où l’auteur confie son manuscrit à Julien Gracq puis se perd. Il est finalement publié par Flammarion en 1982 sans rencontrer un succès immédiat, ce qui n’empêche pas Jacques Abeille de continuer son cycle en publiant Le Veilleur du jour et ses suites. En ayant Gracq et les surréalistes comme « parrains », on peut dire en tout cas que notre auteur suscite un certain intérêt.
Un monde surréel et menacé
Je vis de grands champs d’hiver couverts d’oiseaux morts. Leurs ailes raidies traçaient à l’infini d’indéchiffrables sillons. Ce fut la nuit.
J’étais entré dans la province des jardins statuaires. »
Un voyageur (on ne connaîtra jamais son nom) arrive dans une contrée encore méconnue. Il est accueilli par des jardiniers d’un autre type. Leur travail est de veiller aux statues qui poussent à même la terre dans des domaines protégés de l’extérieur par des enceintes. Le voyageur est émerveillé de ces statues, parfois monumentales et souvent à visage humain. Il est admiratif des soins déployés par les jardiniers envers elles. Il est aussi surpris par les particularismes de cette société qu’il découvre peu à peu grâce à son guide et à l’aubergiste chez qui il séjourne, lui-même ancien jardinier et très critique de son pays.
Ainsi les femmes vivent cloitrées, coupées des hommes. Certaines refusent cette situation mais finissent comme prostituées dans des hôtels, clientes de jardiniers désireux d’oublier le monde. Le voyageur part en direction du nord. Là, il tombe sur un domaine en anarchie, où les statues poussent sauvagement, au détriment des maisons. Il y rencontre Vanina dont il tombe amoureux. Cette dernière, il le comprend vite, est la sœur de son aubergiste et est en rupture avec la société des jardiniers.
Notre voyageur continue cependant sa route, attiré par les terres du nord et les steppes où sévissent des nomades. Une légende dit qu’ils sont menés par un ancien jardinier. Cette légende est vraie, notre voyageur va d’ailleurs bientôt découvrir que la guerre menace la terre des jardiniers.
Un roman singulier et fascinant jusqu’au bout
Il est difficile au fond de résumer Les Jardins statuaires, roman fleuve et non chapitré qui doit se lire d’une traite. On y dénote les influences thématiques de Dino Buzzati (Le Désert des tartares) et bien sûr de Julien Gracq. De plus, stylistiquement, notre auteur rejette toute vraisemblance et toute volonté de réalisme.
Enfin il y a cet univers qui se dérobe à ce stade à toute interprétation. Jacques Abeille a préféré ici nous livrer une vision brute, faite d’images parfois très saisissantes, via un récit d’un voyageur. Ce dernier garde une part de mystère : on ne saura jamais précisément ses motivations ou les raisons de son désir d’explorer le pays des jardiniers. Ces artisans donc, qui cultivent à même la terre des statues, constituent un beau symbole créatif empreint de surréalisme. Vont-ils donc disparaître ?
On a envie de lire la suite pour savoir ce qui, au final, va leur arriver.
Sylvain Bonnet
Jacques Abeille, Les Jardins statuaires, illustration de couverture d’Anne-Gaëlle Amiot, Gallimard, « Folio SF », mai 2018, 576 pages, 9 eur
Signalons que Les Jardins statuaires a d’abord paru, pour son édition de poche, en « Folio » avant de passer en « Folio SF », ce qui indique encore la nature ambiguë du texte lui-même…