Rivages, Gauthier Guillemin voyageur en Fantasy

Premier roman de Gauthier Guillemin, Rivages révèle déjà une voix singulière.

Publié cet automne par Albin Michel sous l’égide de Gilles Dumay, Rivages est un livre étonnant. Une fantasy littéraire comme il y en a peu sous nos latitudes. Car la collection Imaginaire, qui vient de souffler sa première bougie, a ceci de bien qu’elle ose aussi publier des premiers romans francophones avec constance, courage et surtout originalité. Rivages ne déroge pas à cette règle. Et tout comme Jean-Michel Ré dans le Space Opera, Gauthier Guillemin choisit un ton, une voie/voix originale pour nous embarquer dans ce futur sylvestre. Une nouvelle cartographie d’une terre déboussolée. Alors impétrants lecteurs boojumiens, soyez curieux ! Partons ensemble sur les chemins de traverse de Rivages.

Le nom du monde est Domaîne

Les Hommes ont fauté. La terre a repris ses droits. Après des années d’exploitation mortifère par l’ordre matérialiste, l’ogre a trouvé plus fort que lui. La forêt a surgi. Vorace. Et à son tour, elle a repris le terrain perdu. Ainsi est né le Domaîne. Inéluctablement, les cités périclitèrent. Seule perdurent, quelques villes. Dernières cellules cancéreuses de la métastase industrielle.

La Cité est ainsi. Une amibe vivace à l’air vicié. Dédale vivant dont quotidiennement les remparts se déplacent. Grignotant la forêt dans un combat séculaire et opiniâtre. Minotaure têtu aux mâchoires ouvertes. C’est ici que vit le voyageur.

Mais il ressent au tréfonds de lui-même, ce besoin irrépressible de franchir la frontière. De parcourir la forêt, d’explorer le Domaîne. Il passe donc le pas, comme la tradition le permet étrangement dans ce maelstrom policé/policier. Son havresac prêt, empli de réserves et de quelques vieilles cartes. Armé d’un espoir fou : renaître. Ou mourir dans la forêt.

Cette nuit-là le voyageur s’égara dans une forêt de songes et de tracés. Il s’imaginait progressant sur les larges feuilles topographiques, multipliant les boucles dans les entrelacs qui ne lui laissaient pas de repos. »

Un monde vert ?

Car le le risque, le vrai, pour le voyageur, consubstantiel de son rêve d’harmonie, est d’être un intrus. Il s’espère surgeon à défaut de racines, surtout pas parasite ! Donc son errance dure. Presque une année ! En s’adaptant aux biotopes de ce monde vert, il résiste, s’endurcit, s’adapte. Au-delà de son espoir initial. La vie prend le pas sur la survie !

Ainsi, en croisant ses premiers habitants, il découvre les peuples qui habitent au sein de Domaîne. Nomades, marchands, sédentaires aussi. Petit à petit, il fait ses choix. Mais des choix qui semblent bons. Comme si la forêt l’acceptait, l’attendait même.

Alors l’improbable arrive ! En se découvrant habité par un étrange et subit pouvoir, le don de voyager d’arbre en arbre, il sait qu’il n’est pas là par hasard. Ainsi, grâce aux arbres piliers, passerelles qui permettent au voyageur des bons improbables dans l’océan vert, il aborde un jour le village des Ondins.

Des centaines de chemins s’ouvraient à lui, indistincts mais présents, comme autant de promesse de voyages. »

Exil et sources

Recueilli au village de Sraidbhaile grâce à l’amour de Sylve l’Ondine guérisseuse, il s’intègre à cet étrange peuple. Apprend ses légendes, découvre sa société, tisse des liens profonds et offre son don aux arpenteurs des sentiers. Plus surprenant, il comprend que ce bourg et ses habitants n’est pas composé que des seuls Ondins.

De mères en filles, des pouvoirs élémentaux puissants se transmettent depuis la nuit des temps. Entre elfes et sorcières, celles qui en sont dotées, doivent couvrir leurs yeux de lunettes sombres pour ne pas subjuguer ou pétrifier les autres. Sous ce protectorat, d’autres habitants de la forêt monde sont venus s’abriter. Il y a donc une foultitude de types dans les humanités qui se côtoient. Mais malgré les apparences d’une harmonie rare et reposante pour l’errance du voyageur, les Ondins restent jaloux de leurs savoirs et de leur rang.

Surtout, ils semblent rester aux aguets. Car leurs frontières sont depuis quelques temps traversées par de sombres silhouettes. Alors la rumeur et l’angoisse réveillent le sombre souvenir du peuple Fomoire. Bourreau de leurs ancêtres.

De nombreuses légendes couraient sur l’origine des Ondins. La plus connue faisait d’eux les descendants de Tuahta Dé Dana, les gens de la déesse Dana. Un peuple venu de la mer, maintenant en exil dans l’immensité verte. […]

Il estimait avoir découvert le plus beau mythe du Domaîne. Il donnait pour toile de fond à l’interminable forêt la profondeur d’abysses inconnus. Un peuple sylvestre se dotait de la mer comme berceau.


L’amer est ton miroir

Alors de plus en plus indissociable de ce peuple bigarré aux racines étonnantes, le voyageur explore le monde qui l’entoure. Écume en éclaireur les rives du territoire, approfondit son lien avec les arbres-voyageurs. Compulse les grimoires, les archives et les dits des sagas anciennes, où transpirent les secrets des drames enfouis. Ceux qui sont appelés de nouveau à se libérer.

Car les Fomoires tout aussi puissants que profondément différents du peuple Ondin, approchent. Et quand une expédition se constitue vers les montagnes lointaines du peuple nain, le voyageur se porte volontaire. Élu villageois à part entière depuis son mariage avec Sylve, il pressent qu’il peut donner encore plus à ce peuple devenu sien.

Car les Ondins sont comme ses frères, des errants, locataires temporaires d’une terre qui n’est pas leur. Il semble qu’il est de nouveau temps que l’Histoire bascule. Même au risque d’une fracture. Il fait don de son pouvoir pour le voyage lointain. Ces bonds, par les arbres-voyageurs qui repoussent les limites. De ravins en vallées, d’orées en canopées, d’îles-rocs — les Inselbergs aussi beaux que dangereux ! — en rivières oubliées. Il détient peut-être l’unique chance de retrouver la trace des rivages originels. Au cas où le refuge vers la source sacrée soit l’ultime espoir des Ondins…

Rives, Âges et Rivages

En effet, les ennemis d’hier font de nouveau souffler le vent du changement. Ils poussent les villageois vers les rivages d’antan. La mythique Èrenn. Ce rivage et cette mer oubliés que le peuple n’aperçoit que de façons illusoires lors des cérémonies magiques dans la maison-monde au centre du village.

Mais le voyageur oublie un peu vite qu’à user de son pouvoir, il peut risquer bien plus qu’un épuisement létal. Il risque l’amnésie. L’effacement pur et simple de sa mémoire. Un cercle vicieux se mordant la queue tel Ourobouros. Un insupportable paradoxe : pour retrouver la source et sauver les siens, il peut oublier son point d’origine. Il a promis à Sylve une exploration pas une quête. Mais qui ment le plus lors d’un échange de promesses ? Celui qui part ou celui qui reste ?

Somptueux !

Pantois ! Voilà l’état où m’a laissé Rivages ! Ce premier roman somptueux de Gauthier Guillemin ! À des coudées des fantasy classiques, épiques et à épisodes, et même s’il plaira aux amateurs d’elfes et autres épigones Tolkieniens, ce premier roman réussit surtout là où on ne l’attend pas ! Par sa langue et sa beauté !

Richesse du lexique forestier, de la faune, de la flore et des arbres décrits en majesté ! Aussi, surtout même, il y a cette pure poésie des mots pour décrire l’ambiance de cette société ouverte. Composée d’hommes, de femmes et d’êtres égaux devant mère nature. Bref une incroyable richesse habite son univers. Les arpenteurs d’archives reconnaîtront des sources. Comme les légendes bretonnes (dans les noms des lieux ou des dieux comme Lug et Dana ! ) et le corpus celtique atlantique (forêt légendaire de Brocéliande entre autres).

Gauthier Guillemin nous promène dans son monde avec une magie non feinte. Un plaisir évident et communicatif. L’émerveillement de la prose contribue à la magie ressentie devant la puissance évocatrice de cette création littéraire d’un monde-forêt. Vivant. Immarcescible.

Alors, oui, on regrette des raccourcis subits en fin d’ouvrage où des fées chevauchant dragons, des nains querelleurs mais bons compagnons font craindre un classicisme rebattu. Mais diantre, on s’en fiche ! Car quelle verve, quelle fluidité dans le récit ! Ici, on est plus proche des romans mainstreams qui habitent les rives du genre. Ceux que beaucoup révèrent sans jamais les atteindre. Le Rivage des Syrtes de Julien Gracq, la Forêt d’Iscambe de Christian Charrière, le Walden de Henry David Thoreau ou l’intemporalité de certaines scènes du Grand Meaulne d’Alain-fournier. Mais il y a aussi des sentes qui relient Rivages à Le Guin et son Le nom du monde est forêt, Aldiss et le monde vert et notre Genefort national avec son Chasseur de sève.

Littérature avec un grand L

Alors avis aux pourfendeurs des littératures de genres, aux bégueules de la critique germanopratine, aux pisse-froid des académies stériles, il y a en SFFF des œuvres réelles. Très écrites, littéraires et poétiques. Et ici la poésie sourd dans chaque page et, en premier chef, à chaque tête de chapitres. Où l’auteur a su choisir des extraits des grands poètes du corpus littéraire ou philosophique. Baudelaire, Nerval, Hugo, Jouve. Et j’en passe, excusez du peu ! Des figures totémiques qui habitent VRAIMENT le corps du récit sans nous faire le coup d’un stylisme de façade, d’un effet suranné ou calculé.

Il y a dans Rivages une vraie voix, une parole qui emporte. Et tel le voyageur par l’entremise de ses arbres-passeurs, ses protecteurs et amis, je vous invite à vous laissez entraîner dans ce livre ! Un bonheur de lecture rare !

Révérence et chapeau bas Monsieur Guillemin ! Vivement la suite ! (1)

Mes plus anciens souvenirs ont cent ans ou un rien de plus.

Voilà ma forêt ancestrale.

Et tout le reste est littérature.

Gaston Bachelard

Marc-Olivier Amblard

Gauthier Guillemin, Rivages, Albin Michel, « Imaginaire », octobre 2019, 250 pages, 18,90 eur

(1) La suite paraîtra en avril 2020.

Un entretien avec l’auteur sur le blog Justaword

Je ne résiste pas à mettre ici le morceau culte de Manau, la tribu de Dana

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