La fraîcheur de l’herbe, le retour d’émotions perdues

Un historien précieux

Alain Corbin fait partie de ces chercheurs originaux, dans le sens où il s’orienté vers un domaine quasi-vierge, celui de l’histoire des sens. Il a ainsi publié une histoire du silence (Albin Michel, 2016) ou La Douceur de l’ombre, l’arbre source d’émotions de l’antiquité à nos jours (Fayard, 2013). Loin du fracas des batailles, des grandes monographies ou de l’étude des statistiques, Corbin se penche sur l’histoire de l’évolution des sens et des sentiments. Et le voici qui publie La Fraîcheur de l’herbe, nouveau chapitre de son exploration du sensible.

 

L’herbe à travers les âges

Pour ce faire, il convoque les écrivains et les poètes. Pétrarque, Lucrèce, Ronsard, René Char défilent et transportent le lecteur immergé dans un monde urbain vers un ailleurs oublié. Oublié, vraiment ? Lire Corbin invite à se rappeler les moments où, enfant, nous gambadions à travers champs, un weekend à la campagne loin du stress de la vie quotidienne. Sans le savoir, nous renouions alors avec des générations qui avaient connu les mêmes sensations. L’herbe apaise, l’herbe enivre. On y déjeune bien sûr, on s’y délasse. Des peintres ont immortalisé ces moments : Manet, Seurat, Courbet, entre autres.

 

Le sexe et l’herbe

A travers ce livre, on (re)découvre aussi combien l’herbe avait et garde un pouvoir érotique. Corbin cite Barbey d’Aurevilly, Lawrence ou Claude Simon qui ont écrit des pages magnifiques sur ces couples qui faisaient l’amour sur l’herbe ou dans le foin. C’est arrivé bien des fois mais cela arrive-t-il encore souvent ? L’herbe a été domestiqué : fini les herbes sauvages grâce entre autres aux pesticides. On a vu les terres paysannes remembrées et l’homme est in fine devenu un urbain.

Pourtant, dans son épilogue teinté de nostalgie, Alain Corbin décrit la timide renaissance des bocages et l’épanouissement du land art, comme si nous ne pouvions nous passer de ces herbes folles nécessaires à nos sens.

 

Sylvain Bonnet

Alain Corbin, La Fraîcheur de l’herbe, Fayard, mars 2018, 244 pages, 19 euros

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