La Lame, le thriller d’anticipation politique

Quel point commun peuvent avoir le caïd d’une cité marseillaise, un président français, et Sékou, professeur emporté comme tant d’autres réfugiés par une lame submersive au Nigéria ? Selon toute vraisemblance, aucun. Même si le président est un noir, Bako « l’Obama français » Jackson, sa politique est plus fermée qu’ouverte à l’accueil des immigrés… Mais Simon Mardikian, OPJ marseillais, va rompre le huis-clos d’une cité et enfoncer une première lame dans les certitudes : il fixe son enquête à partir du cadavre d’une jeune prostituée d’origine africaine, elle aussi, partiellement dévorée, abandonnée comme un étron… Dès lors les différentes histoires qui composent cet extraordinaire thriller politique qu’est La Lame de Frédéric Mars vont se croiser, se rejoindre, se pousser les unes les autres et former un geste de 500 pages : une claque !

Ce couteau avait une âme

Frédéric Mars est un malin. Il joue avec beaucoup d’adresse sur toutes les acceptions possibles du terme lame, et parvient à ce qu’elles finissent toutes par s’enfoncer dans l’esprit du lecteur avec une efficacité redoutable. Lame submersive, couteau, lame du tarot, lame de fond… Au fil du récit, les éléments se précisent et tout concorde : au milieu de la cohorte des réfugiés chassés par la lame submersive, un couteau primitif va donner la mort et la vie, va permettre que l’histoire advienne.

Ce couteau, c’était leurs espoirs assassinés, leurs misères qui tranchent, la vie qu’on taille comme on peut. / Ce Couteau c’était lui, c’était eux. / Ce couteau avait une lame. Ce couteau avait une âme. »

La lame subversive a poussé des centaines de milliers de pauvres hères sur la route. Mais, curieusement, cette route est pour ainsi dire balisée, organisée, voire même prévue. Comme si cette foule était elle-même une lame qui allait s’enfoncer, à travers tous les pays d’Afrique, remonter, et atteindre le corps même de l’Europe. Alors ?

La Lame, un thriller ?

Pour la forme, La Lame est un thriller redoutable. Les enquêtes et les histoires multiples se croisent (brigade financière à Paris, PJ à Marseille, reporter infiltré dans la foule des réfugiés, groupe humanitaire, réfugiés) et se rejoignent dans un climax hystérique, qui projette le lecteur dans une ambiance de guerre civile. Récit maîtrisé de bout en bout et de main de maître, La Lame va vite, fort, profond ! Et les révélations qui s’enchaînent ne laisse pas le moindre répit !

Mais La Lame n’est pas un thriller qui joue avec les peurs, même pas un roman d’anticipation dystopique qui cherche dans le présent ce qui pourrait être noirci pour le futur. NON. La Lame est un grand roman d’analyse politique, au même titre que Le Camp des Saints de Jean Raspail (d’ailleurs cité) ou Guerilla de Laurent Obertone, matinée d’une perspective digne du Choc des civilisations de Samuel P. Huntington ou du Déclin de l’Occident de Samuel Sprengler. Ecrit dans la plus directe actualité, il conserve une part d’espoir mais dresse un avenir si noir qu’on a peur quand l’auteur affirme avoir fondé son travail sur des rapports scientifiques.

Dans cet ordre d’idée, il n’est pas impossible de se dire que La Lame est un roman à clés. Si des personnages politiques sont évidents (Le Pen devient Varenne…), d’autres sont plus subtils, mais je dirais qu’il faut lire dans le portrait d’un des personnages celui de George Soros, clé de tout cette machination diabolique qui déporte des hommes pour en faire une arme… Que vaut la vie d’une pute pour son mac ? Que vaut la vie de centaines de milliers d’indigents pour leur gouvernement ? Que vaut la vie de millions de personnes pour un affairiste ?

Frédéric Mars, qu’on avait admiré dans Les Marcheurs, montre combien il est capable de maîtriser une intrigue délirante en la rendant crédible. Combien il est capable de tenir son lecteur sur 500 pages. Combien il est capable de montrer qu’en 2031, c’est-à-dire demain, notre monde peut basculer, non pas sur une idée délirante mais sur la base d’une étude précise et clair d’indices déjà présents de nos jours. Et si ?… Lisez La Lame, c’est un monde qui va s’effondrer sous vos yeux, vous n’y couperez pas !

Loïc Di Stefano

Frédéric Mars, La Lame, Métropolis, avril 2019, 507 pages, 21 eur

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