La Russie face à l’Europe, fascination et rejet

Une spécialiste de la Russie

Voici la nouvelle édition d’un ouvrage paru initialement paru en 2002 et dû à une des meilleures historiennes de la Russie, Marie Pierre Rey. Rappelons qu’on lui doit une excellente biographie d’Alexandre Ier, le tsar qui vainquit Napoléon (Flammarion, 2009) et un solide essai sur la campagne de Russie, L’effroyable tragédie (Flammarion, 2012). Ici, elle se propose de revenir sur la très singulière relation qui existe entre la Russie et l’Europe, depuis le XVIe siècle.

Imiter ou rejeter ?

Toute l’histoire de la Russie est ici relue par Marie-Pierre Rey sous ce prisme de l’attraction et du rejet exercé par l’Europe sur le monde russe. On est frappés de voir la récurrence de ce dilemme jamais tranché. Cela commence au fond avec Pierre le Grand avait fait le choix de l’Europe et d’une nouvelle capitale construite sur le modèle européen, en faisant aussi appel à nombre de « spécialistes » français, allemands, néerlandais, écossais pour moderniser son empire et son armée… tout en prenant soin de préserver l’identité russe devant les résistances de la noblesse et de l’église orthodoxe. Alexandre II choisit la libéralisation après le règne conservateur de Nicolas Ier, abolit le servage… et son fils Alexandre III gèle toute réforme en glorifiant à son tour l’identité russe.

Une nation émancipatrice ?

On remarque aussi que la Russie hésite aussi constamment entre être une nation libératrice ou conservatrice : on la voit libérer la France et l’Europe de Napoléon en 1814, puis intervenir pour rétablir l’ordre à Vienne en 1849. Les bolcheviks, parvenus au pouvoir, voulaient eux étendre la Révolution à l’Europe… Et aussi profiter de l’expertise des capitalistes.

La crise actuelle

Marie-Pierre Rey a revu son ouvrage pour tenir compte de la guerre en Ukraine débuté en février dernier. Poutine a hérité de ce dualisme attraction/répulsion tout en voulant reprendre certaines tactiques soviétiques d’influence, en soutenant des partis d’extrême-droite (et à les financer) et d’extrême gauche. Plus proche de ce qu’on a appelé l’idéologie « slavophile », Poutine estime l’Occident (Europe + Amérique) en déclin et s’allie dans la décennie 2010 à l’Iran et surtout à la Chine. Sûr du déclin européen et américain, il a choisi l’aventure en intervenant militairement en Ukraine…

Mais l’Occident est pour le moment resté uni dans son soutien à Kiev : ici, le désastre géopolitique pour la Russie est complet. Pour combien de temps ?

Sylvain Bonnet

Marie-Pierre Rey, La Russie face à l’Europe, Flammarion « champs », octobre 2022, 544 pages, 14 euros

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