Deux livres de Laurent Bourdon sur Claude Chabrol
Il y a dix ans disparaissait Claude Chabrol. De son vivant, il écrivit ou cautionna plusieurs ouvrages : Conversations avec Claude Chabrol (Payot), Claude Chabrol par lui-même et par les siens (Stock), Comment faire un film (Payot), Pensées, répliques et anecdotes (le cherche-midi), Et pourtant je tourne (Robert Laffont). Depuis, quelques rares livres se sont intéressés à sa carrière dont l’album très illustré signé Michel Pascal (La Martinière).
Aujourd’hui, arrive dans les librairies et ailleurs, une somme de 677 pages qui permet de tout savoir sur les films du susdit. Car ce boulimique ne cessa pratiquement jamais de travailler. Quand le cinéma lui faisait la moue, il se tournait vers la télévision et quand il avait quelques jours à perdre il filmait des spots publicitaires.
Tout Chabrol
Dois-je dire que je n’ai jamais un grand fan de Chabrol, même s’il reste mon préféré parmi les jeunes loups aux dents trop longues de la Nouvelle Vague. Je lui reconnais quelques grands films mais, franchement, rien d’inoubliable. Je lui suis surtout reconnaissant d’avoir su mettre en valeur ses acteurs, accentuant leur talent, quand ils en avaient.
Claude tourna aussi beaucoup de « merdes » (selon ses propres termes), qu’il assumait totalement. C’est honnête de sa part mais… Je me permets d’ouvrir ici une parenthèse sur un certain comportement cinématographique. Bon nombre de réalisateurs se sont lancés consciemment dans des mauvais films pour des raisons souvent financières. Et de ricaner d’avoir soutiré de l’argent à des producteurs incompétents. Mais (j’y reviens), les premiers lésés sont les spectateurs. Victimes ni plus ni moins d’une escroquerie (et je pèse mes mots). Imaginons quelqu’un qui, après avoir apprécié Le Beau Serge, Les Cousins, Que la bête meure et Le Boucher, fasse confiance à l’estampille Chabrol. Pour lui c’est un gage de qualité. Quelle est sa réaction quand il va voir Les Innocents aux mains sales ? Ou Jours tranquilles à Clichy ? Il a tromperie sur la marchandise. Et comme Claude savait qu’il allait fournir un bazar indigeste, il y a arnaque. Le spectateur lésé serait en droit de lui réclamer le prix de son billet ! Enfin, en droit s’il existait une loi contre ce genre de pratique. Roselyne, qui n’a rien à faire de ses journées, devrait se pencher sur la question…
Pour en revenir à l’ouvrage, il est signé par Laurent Bourdon, homme de radio. Poste qui lui valut de réaliser pour France Inter un série d’émissions intitulées Studio Chabrol où il réunit le gratin chabrolien. Outre la famille, vinrent à son micro Stéphane Audran, Michel Bouquet, Isabelle Huppert, François Berléand et pléthore d’autres. De quoi disposer de solides assistes pour écrire un livre.
Mais Bourdon vole plus loin et va chercher des archives anciennes pour appuyer son propos et fournir le maximum d’informations. Non seulement il a tout vu, tout lu mais il s’offre le luxe de relire les livres qui ont servi de base à certains films de Chabrol. C’est précis, efficace.
Ce livre débute par une partie biographique évoquant (of course) l’enfance du sujet avant de démarrer (page 47) par son premier film Le Beau Serge. Ensuite, les autres films se succèdent dans une sorte de ballet incroyable où le pire côtoie le meilleur. Chabrol n’ayant jamais eu la langue dans sa poche fustige avec bonheur certaines de ses propres œuvres et regrette que d’autres aient été mal comprises ou mal acceptées.
L’auteur s’efforce de faire un tour complet de chaque film. Il va parfois un peu trop loin. Dans son besoin d’informer, il ne peut citer un acteur ou un technicien sans nous abreuver de sa biographie (qui va d’un gros paragraphe à une page et demie) pour nous rappeler qui il est, ce qu’il a fait et même ce qu’il fera. Cela tourne parfois au rapport de police.
L’essentiel est là
Pour le reste, Chabrol est bien en place. Fidèle à son poste derrière la caméra et, de temps en temps, derrière le stylo. Il travaille sérieusement mais de manière légère, donne peu d’indications aux acteurs, préférant les voir évoluer devant sa caméra, mange beaucoup, boit pas mal et n’assiste jamais aux montages de ses films.
Sa grande force — outre son manque d’ego, affirmait-il — réside dans sa connaissance encyclopédiques du cinéma et du roman policier. Il n’a pas commencé aux Cahiers du Cinéma pour rien. Mais autant certains autres (Rohmer, Rivette, Godard…) se sont enfermés dans la conviction qu’hors du cinéma point de salut, autant lui a su se détacher des maîtres pour mieux leur emprunter. Un bout de scène par-ci, une référence par-là ; il faisait sa propre tambouille et, quand il était motivé, le faisait plutôt bien.
Tout cela se retrouve, donc, dans ce Tout Chabrol qui mérite bien son titre. Avec, en prime, quelques photos bien choisies et une mise en page très fluide qui facilite la lecture.
Comme disait Claude Chabrol
En parallèle, Laurent Bourdon et les éditions LettMotif publient un Comme disait Claude Chabrol qui n’est plus ni moins qu’un recueil de ses aphorismes (et qui, de ce fait, ressemble à Pensées, répliques et anecdotes, même si les citations ne sont pas les mêmes). Chabrol y parle des femmes, de la bêtise, de la bourgeoisie, de la politique et, bien sûr, du cinéma. Concernant ce dernier domaine, je citerai une formule que devraient méditer tous les journalistes, critiques et pseudo-analystes du cinéma :
J’ai rencontré des petits jeunes qui m’ont demandé ce qu’il fallait connaître pour faire de la critique de cinéma. Je leur ai seulement dit qu’ils ne pouvaient pas parler de cinéma s’ils n’avaient pas vu L’Aurore de Murnau.
Pour conclure, j’ajouterai une pique qui n’est pas dans l’ouvrage :
Je suis tout à fait pour le cinéma militant. Tout le monde milite. Moi, le premier… Contre la connerie ! Et un cinéma exclusivement militant est une connerie » (Le Film français, 10 janvier 1975)
Quel réalisateur actuel oserait tenir de tels propos ? Levez le doigt messieurs, et mesdames…
Philippe Durant
Laurent Bourdon, Tout Chabrol, préface de François Berléand, LettMotif, septembre 2020, 677 pages, 39 eur
Laurent Bourdon, Comme disait Claude Chabrol, LettMotif, septembre 2020, 105 pages, 48 eur