Les hommes lents, éloge des marginaux de la modernité
Du Brésil à la lenteur
Laurent Vidal enseigne à l’université de La Rochelle. Ses travaux portent sur l’histoire du Brésil et il a publié entre autres : La Ville qui traversa l’Atlantique. Mazagão, du Maroc à l’Amazonie (1769 – 1783), (Aubier 2005), Ils ont rêvé d’un autre monde. 1841 : 500 Français partent au Brésil fonder un nouvel Eden (Flammarion, 2014). Il livre ici un essai au titre singulier, Les Hommes lents. Qui sont-ils ?
Résistance sourde
Les hommes « lents » sont ceux qui font un pas de côté face à une modernité qui érige la vitesse en valeur cardinale. Au fil des pages du livre de Laurent Vidal, on découvre que ces « résistants » furent légion. On trouve dès la fin du Moyen-Âge des hommes « lents ». L’auteur esquisse d’ailleurs une « généalogie » du concept de « lenteur » et des adjectifs qui lui sont associés, de plus en plus « négatifs avec le temps. Car la société occidentale subit plusieurs changements : la mesure du temps d’abord via les horloges puis les montres, essentielle lorsque se mettra en place le taylorisme ; les changements technologiques telle la machine à vapeur qui accroissent la productivité et enfin la Révolution industrielle.
Au-delà de l’Occident, Europe et Amérique, on voit aussi des populations stigmatisées pour leur rythme « indolent » : il en va ainsi des noirs originaires d’Afrique, dont le travail est déprécié à cause de leur goût « naturel » pour l’indolence. Cependant, les termes retenus pour qualifier les vagabonds en Europe sont à peine plus reluisants…
Les victoires des hommes « lents »
On pourra reprocher l’éloge, qu’on lit derrière les lignes, faite de la lenteur par Laurent Vidal. Nos sociétés contemporaines vivent à cent à l’heure, privilégient la réactivité à la réflexion : nous en avons conscience peu ou prou. Il faut être productif dans notre monde globalisé où la concurrence fait rage entre individus, entreprises ou pays : pas de place pour les « feignants » donc au sein de notre « start up nation »… sauf que ces « feignants » sont souvent des artistes. Ils ont créé le jazz et le funk dans les bouges les plus infâmes — aux yeux des gens bien élevés — de la Nouvelle-Orléans. Idem au Brésil pour l’inventivité musicale. Ici, le critique fendra l’armure et préfèrera être de leur côté, celui de James Brown, face aux managers sans âmes et à leurs tableaux Excel…
Voici donc un essai stimulant.
Sylvain Bonnet
Laurent Vidal, Les Hommes lents, Flammarion, janvier 2020, 208 pages, 20 eur