L’autre guerre froide, la peur cette mauvaise conseillère
Le survol par des ballons espions chinois de l’espace aérien nord-américain a rappelé que, même dans une actualité dominée par la guerre en Ukraine, la rivalité sino-américaine structure la géopolitique actuelle. Pierre Grosser, membre du comité d’histoire de science Po Paris, auteur du récent L’histoire du monde se fait en Asie (Odile Jacob, 2019), propose ici une relecture de l’histoire entre les deux pays, puis essaie de voir ce qui pourrait se passer en rappelant nombre de précédents historiques.
Contre le piège de Thucydide
Au fond, Pierre Grosser a basé son livre sur une réfutation d’un essai, Le piège de Thucydide de Graham Ellison, qui concluait à l’inéluctabilité de l’affrontement entre USA et Chine en vertu de la loi historique suivante : la puissance déclinante ne peut qu’affronter la puissance montante. Thucydide avait en tête la guerre entre Athènes et Sparte, Ellison rapprochait la rivalité actuelle de celle entre France et Angleterre, Allemagne et Royaume-Uni, etc… Disons-le tout de suite : il n’y a pas de loi en histoire. Donc rien n’est jamais inéluctable ou défini à l’avance. Pierre Grosser nous donne en tout cas une rétrospective de la relation sino-américaine, entre tension et fascination réciproque. Il démontre aussi que les deux pays ont été des partenaires, surtout du temps de la guerre froide avec l’URSS, à partir de 1972. Mais avant 1972, la Chine est en pleine confrontation avec les USA, une guerre parfois chaude comme à la fin des années cinquante.
Interdépendance économique et rivalité systémique
Les États-Unis ont, rappelons-le, favorisé le développement économique chinois au nom de leurs intérêts économiques (délocaliser permettait aux entreprises américaines de baisser leurs coûts et d’avoir accès au marché chinois, l’eldorado des années 90 et 2000) et aussi avec l’arrière-pensée que le doux commerce amènerait la Chine à se démocratiser : pari en partie raté. L’arrivée au pouvoir de Xi Jinping a fait monter une rivalité présente depuis longtemps, il existe désormais une angoisse existentielle américaine à l’égard de la Chine, qui rappelle d’ailleurs celle qui existait envers le Japon dans les années 1980. Les tensions autour de Taïwan font planer le risque d’une escalade en mer de Chine, avivée par la visite de Nancy Pelosi en 2022 et les récurrents exercices militaires chinois.
La guerre est-elle possible ?
La réponse est oui lorsqu’on lit Grosser même s’il ne faut pas jouer avec la peur. L’histoire n’est pas écrite mais les précédents existent. Sommes-nous en 1914 au bord d’un volcan et d’un dérapage ? Sommes-nous en 1950, juste avant le déclenchement de la guerre de Corée ? En 1946 juste avant le début de la guerre froide ? Taïwan est-elle un nouveau Berlin-Ouest ou une nouvelle crise de Cuba ? La guerre n’est pas en tout cas inéluctable, elle dépend de dynamiques politiques et aussi du choix des hommes, comme le rappelle la conclusion de l’essai : à lire.
Sylvain Bonnet
Pierre Grosser, L’autre guerre froide ? La confrontation États-Unis/Chine, CNRS Éditions, mars 2023, 392 pages, 25 euros
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