Argylle, tromper n’est pas jouer
Romancière à succès, Elly Conway raconte les aventures d’Argylle, un espion intrépide en guerre contre une agence machiavélique. Son quotidien va être bouleversé lorsqu’Aidan, un authentique espion, va l’entraîner dans son combat. Elle se rend compte que ses récits sont loin d’être imaginaires et que la vérité dépasse l’entendement…
Il était une fois, trois réalisateurs issus de la même génération, qui souhaitaient révolutionner le cinéma de genre grâce à leur talent et surtout leur culot. Leurs premiers faits d’armes leur donnèrent raison et on pensait assister à l’éclosion de nobles artisans. Ainsi, James Gunn, Edgar Wright et Matthew Vaughn ont démontré, au début de leur carrière, un savoir-faire évident, à défaut de génie. Mais les années ont passé et leurs derniers travaux ont révélé la supercherie ; quand le talent s’est étiolé et que seul subsiste le culot, le couperet tombe pour d’éternels espoirs jamais confirmés.
Certes, le crédit accordé de Matthew Vaughn s’avérait bien plus légitime que pour ses deux homologues. Son X-Men : Le Commencement, Stardust, Kick-Ass voire le premier Kingsman ne déméritaient pas, bien au contraire. Hélas, lui aussi s’est embourbé dans des travers ostentatoires et racoleurs ; Kingsman : Le Cercle d’or ainsi que The King’s man : Première Mission décevaient et agaçaient sur de nombreux points. Les rebondissements et l’enchainement de plan-séquence camouflaient un cruel manque d’inspiration.
Voilà pourquoi Argylle constituait presque le long-métrage de la rédemption pour le metteur en scène. Matthew Vaughn devait s’affranchir de ses défauts et renouer avec les qualités entrevues à ses débuts. Malheureusement, dès la présentation du synopsis et des intentions, Argylle peinait à emballer. Annoncé comme une déclaration d’amour aux films d’aventure et d’espionnage, il ne se distinguait guère sur le papier, de Kingsman. Pire encore, le metteur en scène a lui claironné ses ambitions : proposer une œuvre de la dimension de La Mort aux trousses. Ce vœu pieux bien entendu impossible à exaucer se transforme très vite en fardeau pour un navire qui prend l’eau de toute part…
Des agents peu spéciaux
Jusqu’à présent, l’une des grandes forces de Matthew Vaughn résidait dans sa capacité à valoriser ses protagonistes et à extraire le meilleur de leurs interprètes. Pour rappel, il a contribué à révéler Daniel Craig dans Layer Cake (un polar plutôt malin) et a dirigé des acteurs ou actrices de la trempe de Michael Fassbender, Colin Firth, Ralph Fiennes, Nicolas Cage ou Jennifer Lawrence. En outre, son aptitude à caractériser ses personnages, à les faire vivre, voire à sublimer leur substrat original (à l’image de Kick-Ass) ou a en restituer la substantifique moelle (comme dans Stardust) jouait pour beaucoup dans le succès de ses longs-métrages.
En témoignent l’exposition des X-Men d’origine ou la relation filiale entre Colin Firth et son jeune acolyte. Mais dans Argylle, il échoue dans cet exercice, ce dans les grandes largeurs, tant son casting se prête uniquement à un mauvais numéro de prestidigitation et n’existe que pour servir d’alibi à vaste dispositif inconsistant. En outre, le choix de Bryce Dallas Howard pour le rôle principal laisse perplexe, puisque sa performance frise encore le ridicule. Si la volonté de féminiser un ersatz de Kinsgman s’avère intéressante sur le papier, employer l’actrice de Jurassic World relève de la faute de goût.
Quant à Henry Cavill, l’une des plus grosses fraudes d’Hollywood (avec Keenu Reeves), il trouve un costume à sa mesure, insignifiant, lisse et oubliable. Négligeable comme le spectacle proposé, dépourvu de l’inventivité des empoignades de Kingsman : Services secrets ou de X-Men Le Commencement. Sans saveur, même pas épique, le film a en plus le tort de recycler des pans entiers de Kingsman justement dans son ultime partie. Ce problème épineux s’ajoute à un autre, majeur, résultant de la gestation d’Argylle, malhonnête dans sa conception malgré le désir de bien faire.
Indigestion
Matthew Vaughn aspirait au départ adapter l’ouvrage éponyme d’Elly Conway. Cependant, rebuté par sa structure, il préféra s’adonner à un procédé artificiel et user d’une sorte de mise en abyme du récit tout en confondant réalité et fiction. Cette entreprise audacieuse échoue tant les autres influences (parfois même pas énumérées) articulant la narration ne sont jamais digérées. Le cinéaste peut mimer Le Magnifique de Philippe de Broca, Total Recall de Paul Verhœven (et indirectement Philip K. Dick) ou Last Action Hero de John McTiernan, il ne réussit jamais à assembler les pièces d’un puzzle complexe et se noie au fur et à mesure de sa traversée.
Pourtant, le réalisateur amorçait une démarche plutôt pertinente dans son introduction en argumentant que beaucoup de célèbres écrivains de littérature d’espionnage (de Ian Fleming à John le Carré) avaient officié de près ou de loin dans les services secrets. Cette réplique devait appuyer l’un des axes principaux du long-métrage, celui de la frontière ténue qui sépare parfois la vérité de l’imaginaire, notamment dans l’inconscient collectif. Mais sa démonstration frôle l’indigence par la suite, tant elle est plombée par une succession de twists (ah les fameux rebondissements) en lieu et place d’un édifice plus élégant. Constat similaire concernant la crise d’identité vécue par Elly, décrédibilisée par Bryce Dallas Howard. L’approche adoptée n’égale pas en efficacité celle aperçue dans Total Recall sur le même sujet (sans évoquer les films phares en la matière, Persona ou Mulholand Drive).
Souvent on brûle ce que l’on a encensé jadis, parfois à tort. Dans ce cas précis, brûler l’ancienne idole Matthew Vaughn se pose en acte miséricordieux pour qu’il saisisse les raisons de son échec. Véritable naufrage, redondant et boursouflé dans sa forme comme sur son fond, Argylle rejoint la majorité des blockbusters récents dans la nasse poisseuse des désastres onéreux (deux cents millions de dollars gaspillés).
François Verstraete
Film américain de Matthew Vaughn avec Bryce Howard Dallas, Sam Rockwell, Henry Cavill, John Cena et Samuel L. Jackson. Durée 2h20. Sortie le 31 janvier 2024