Le dix-huit brumaire, de l’art de terminer une révolution

Un des meilleurs historiens de la Révolution

 

Ancien élève de François Furet, Patrice Gueniffey s’est fait remarquer dès son premier ouvrage tiré de sa thèse, Le Nombre et la raison, la Révolution française et les élections (EHESS, 1993) et surtout avec son essai La Politique de la Terreur (Fayard, 2000) où il analyse le processus menant à la mise en place du gouvernement révolutionnaire et de sa politique massive de répression, particulièrement lors des sinistres lois de Prairial. Il a aussi publié un Bonaparte remarquable (Gallimard, 2013) dont on attend la suite. En 2008, à la demande de Gallimard, il écrivit pour la collection « les journées qui ont fait la France » un livre sur le coup d’état du dix-huit Brumaire, aujourd’hui réédité en Folio.

 

Le Directoire, une République détestée

 

Gueniffey commence par revenir sur le Directoire, un régime décrié par l’historiographie et mis en place par les thermidoriens. Leur but était simple : empêcher la restauration de la monarchie d’une part et protéger les acquis de la Révolution. Ainsi ils prirent le décret des deux tiers, qui obligeait à l’intégration des anciens conventionnels dans les deux assemblés des Anciens et des Cinq cents, faussant ainsi le résultat des élections. Si le bilan du régime, si on suit Jean Tulard ou Thierry Lentz, comporte des aspects positifs, il choisit aussi de continue la guerre contre l’Autriche et créée le système des républiques sœurs, achevant ainsi de déstabiliser le continent. Lors de la campagne d’Italie, le Directoire se retrouve face à un héros, un nouveau césar, Bonaparte, qui passe pour une créature de son chef, Barras. Grossière erreur…

 

Un coup d’état réussi à la postérité douteuse

 

Le Directoire est un régime de coups d’états et de trucages des élections : Fructidor barre ainsi la route aux néoroyalistes et Babeuf est envoyé à l’échafaud. Toute tentative de révision est bloquée (comme en 1850 pendant la IIe République, l’histoire se répète parfois). Un groupe de conspirateurs réunis autour de Sieyès, théoricien fumeux et nouveau directeur, cherche un « sabre ». Le choix de Bonaparte ne s’imposait pas mais oriente le futur coup d’état. Bonaparte manquera pourtant d’échouer et devra finalement la réussite à son frère Lucien (il ne le lui pardonnera d’ailleurs jamais).

Gueniffey termine ensuite son ouvrage en comparant le dix huit Brumaire au 2 décembre 1851 : « l’oncle a été la victime du neveu ». Car, jusqu’au milieu du XIXe siècle, personne n’a jamais alors remis en cause le dix huit Brumaire, le Directoire, régime qui bafouait ses propres lois, étant universellement condamné. Louis-Napoléon, président d’un régime républicain « bloqué » (il n’a pas de majorité à l’assemblée pour une révision constitutionnelle), ne pouvant se représenter,devant faire face à des royalistes qui se préparent à présenter le prince de Joinville pour le remplacer, attire sur lui l’opprobre qui rejaillit son oncle qu’il « imite ».

Il faudra attendre un autre « coup d’état », celui du 13 mai 1958, pour sortir Brumaire de l’opprobre (quoiqu’en lisant Lionel Jospin, on se dit qu’une certaine lecture de l’événement perdure dans certains courants politiques…). Voici un ouvrage passionnant, érudit, stimulant.

 

 

 

Sylvain Bonnet

 

Patrice Gueniffey, Le Dix-huit Brumaire, Gallimard, « folio histoire », septembre 2018, 528 pages, 9,40 euros

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