Le Géant empêtré, l’impasse Russe

L’histoire pour expliquer la guerre

L’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine amène fatalement à poser une question basique : comment en est-on arrivé là, au retour de la guerre en Europe avec un conflit de haute intensité (pour parler jargon stratégique) ? Anne de Tinguy, professeur émérite à l’INALCO et chercheuse au CERI, propose avec Le géant empêtré une relecture de la relation entre Russie et Occident, depuis les années 80 jusqu’à nos jours.

La « puissance pauvre »

L’expression, forgée par Georges Sokoloff, semble bien toujours valable pour définir la Russie. Que cela soit en tant qu’empire des tsars ou sous la forme de l’URSS, la Russie a toujours eu des prétentions à la puissance mais elle a toujours accusé un retard, tant économique que technologique. Si l’URSS a bien été une superpuissance avec un outil militaire quantitativement impressionnant, elle n’a jamais eu l’avance technologique américaine. Entrée en stagnation à la fin des années 60, l’URSS n’était réformable et s’est écroulé sans effusion de sang, ou presque. La Russie a connu ensuite le chaos de la transformation en économie de marché (la fameuse « thérapie de choc ») avec la dépression économique des années 90. C’est pourtant Gorbatchev et Eltsine qui, à l’époque, ont fait le choix de l’alliance avec l’Occident tout en essayant de garder des attributs de grande puissance. Et l’Occident a aidé la Russie, en partie à cause de son statut de puissance nucléaire.

Poutine a hérité d’un pays en ruine, mais avec un potentiel énorme. Qu’en a-t-il fait ?

Le choix (illusoire) de la puissance

La Russie a bénéficié durant les années 2000 d’un haut prix du pétrole qui lui a permis de renouer avec la croissance et d’en faire bénéficier la population. L’État russe n’a cependant pas choisi de diversifier son économie. À part des réussites dans l’agriculture et dans le nucléaire civil, la Russie est, comme le Venezuela ou les pays de Golfe, une économie de rente, dépendante des cours des matières premières. Poutine a choisi petit à petit de réaffirmer le statut de grande puissance de la Russie en la lançant dans des aventures guerrières, comme en Géorgie en 2008 ou en Syrie en 2015 avec un certain succès. Pour autant, la position géopolitique russe se dégrade, les anciennes républiques soviétiques subissant l’attraction de l’UE, des États-Unis et de la Chine. Enfin, en se lançant dans la guerre contre l’Ukraine, Poutine a réussi à détacher pour des générations ce pays de la Russie, à renforcer l’OTAN et à se condamner à un rôle de « Junior Partner » de la Chine, en passe de devenir son principal acheteur d’hydrocarbures. La Russie ne mérite-t-elle pas mieux ? En attendant, la guerre continue.

Très bonne synthèse.

Sylvain Bonnet

Anne de Tinguy, Le géant empêtré, Perrin, septembre 2022, 496 pages, 26 euros

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