« Le Grand Ecrivain »

En plus d’être un écrivain médiocre, le narrateur du Grand Ecrivain de Jean-François Merle est un procrastinateur, si bien que son éditrice lui sauve la vie quand elle lui propose, pour annuler la dette de son avance pour un roman non écrit, de devenir le porte-plume du plus grand écrivain français vivant. Le maître a des soucis pour achever ses Mémoires, lesquels seraient l’événement incontournable. Comment refuser ?

Entre celui dont toute l’œuvre se résume à un roman passé inaperçu chez un éditeur ayant depuis fait faillite — et à quelques incipit stériles —, et le grand écrivain dont trois livres auront suffi à imposer la légende inaltérable au firmament de la Littérature mondiale, le courant ne passe pas immédiatement. Mais, pour faire plaisir à l’éditrice, les deux opposés s’adoucissent et petit à petit le texte voit le jour, nourri des souvenirs chétifs sur lesquels broder. Ce ne sera pas le livre du siècle, ni même un livre digne des grands romans du maître, mais un livre qui sera bien vendu, et que l’aura du maître protégera de l’opprobre. Un livre quand même un peu meilleur que ses deux premiers, vagues bluettes mièvres et inutiles…

Mais alors comment expliquer que les six années de silence auront transformées un minus en magister ? Quels secrets cachent cette réclusion (car le grand écrivain se cache et reste silencieux) ? Qui est dans la confidence ? Et quel va être exactement le rôle du narrateur ?

 

J’avais devant moi le plus grand écrivain du monde, dont la main avait un jour tracé des lignes admirables, surnaturelles, inhumaines en somme, mais un homme tout de même ; cette pensée me paraissait farfelue et je ne parvenais pas à rassembler sous une même écorce les deux Maillencourt, celui de ses romans que j’admirais et celui que je contemplais à présent. […] Comment ce type avait-il pu écrire ça ? »

 

Dans un  style enlevé, très vivant et souvent drôle (est-ce l’influence de Jasper Fforde, qu’il a traduit ?), Jean-François Merle promène son lecteur dans les coulisses de l’édition, où un livre peut devenir le rouage essentiel de toute une économie, sauver toute une maison, la carrière d’une éditrice, les beaux yeux d’une assistante…

Le Grand Ecrivain est une belle variation sur le thème classique de la visite au maître, avec une espièglerie et un art consommé du récit qui en font un livre délicieux !

 

 

Loïc Di Stefano

Jean-François Merle, Le Grand Ecrivain, Arléa, « 1er mille », 264 pages, mai 2018, 20 euros

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