Le Navire Arthur… et autres bateaux ivres, par Gérard Macé
C’est un petit bouquin, quatre-vingt pages à peine, qui renferme six chapitres, en forme d’essais, qui ne semblent pas avoir un lien entre eux, et pourtant… Le premier donne son nom au livre de Gérard Macé, Le Navire Arthur, nom d’un bateau qui partit jadis vers des terres lointaines, à bord duquel se déclara une terrible épidémie, dont personne ne réchappa, qui devint un effroyable charnier, et qui erra sur les mers avant de sombrer sans pilote à bord.
Bateau ivre ou vaisseau fantôme, l’histoire d’Arthur inspira un médecin français du XIXe siècle, Parent-Duchatelet, qui en fit un parallèle avec les égouts, cloaques immondes, détritus épouvantables, odorants et couverts de rats, qui empuantissaient Paris à cette époque. D’où une réflexion amère sur la gestion des déchets. Ces pages ne sentent pas très bon, mais ont le mérite de rétablir la vérité.
D’une maladie à l’autre, Gérard Macé, évoque ensuite le docteur Adrien Proust, père du petit Marcel, scientifique et hygiéniste de bon aloi, confronté à la peste et au choléra du XIXe siècle. Cet infatigable chercheur a sillonné les lieux les plus sales du monde, les plus contagieux et pestilentiels, pour essayer d’en savoir plus sur les bactéries, virus, et autres microbes, qui infectaient la planète. C’est aussi l’époque où d’illustres savants comme Pasteur ou Koch, traquaient les bacilles avec le succès que l’on sait.
Gérard Macé passe ensuite au docteur Destouches, plus connu sous son nom de plume : Céline. C’est peu dire qu’il ne l’aime pas : il le déteste, l’exècre, le vilipende. C’est presqu’un voyage au bout de la haine, qu’il nous sert en douze pages d’un éreintement gratiné, car « ce médecin des pauvres qui n’avait pas de clientèle » était aussi sale dedans que dehors, qu’il n’a aucune circonstance atténuante à faire valoir, malgré le succès de ses pamphlets antisémites qui inspirent, dit-il, « des lecteurs littéralement envoûtés, victimes consentantes et extasiées d’un charlatan »… Fermez le ban !
Nous passons ensuite à des pages plus douces, loin des immondices précédents, avec un portrait élogieux de l’écrivain Pierre Gascar, qui annonça, il y a 50 ans « la radioactivité des lichens dans le Grand Nord », laquelle contamine les rennes qui les mangent, puis les hommes qui mangent du renne. Il est cette fois question de « lèpre contagieuse », et d’une pollution redoutable, menaçante autant que mystérieuse. Gérard Lacé conclue en pensant que Pierre Gascar « n’a cessé de se demander qu’il assistait à la mort du monde, ou à sa métamorphose, qu’il ne comprenait pas ».
De métamorphose, il en est justement question au dernier chapitre, qui lave tous les précédents, avec un titre détergent « pourriture noble ». C’est de celle du raisin qu’il s’agit, preuve que toutes les pourritures ne sont pas celles de la saleté, des excréments ou de l’abjection. Les raisins de Sauternes et de tous les vignobles liquoreux, transforment en nectar une pourriture bien particulière, née d’un champignon microscopique, et légitimement appelée noble en raison de l’exceptionnelle qualité des vins qu’elle produit. Telle est la plus belle métamorphose de la nature. C’est donc le bon vin qui nous console de l’autre pourriture, l’ »imputrescible, sous la forme du plastique inerte et stérile », que la nature ne transforme pas, « ce qui nous inquiète à juste titre », écrit encore Macé.
Didier Ters
Gérard Macé, Le Navire Arthur, Arléa, mars 2020, 80 pages, 15 eur