Le Murmure, Christian Bobin

« Les poètes meurent au combat même quand ils meurent dans un lit. Ils livrent bataille toute leur vie. » 

La Part manquante, La Plus que vive, la Folle allure, L’Inespérée, L’Homme-joie, La Nuit du cœur… les titres de Christian Bobin sont aussi légers que les ailes du papillon. Décédé en 2022, le combat du poète fut toujours d’avoir l’âme assez simple pour accéder aux mots qui « sont en Dieu même, aussi loin que Dieu même. » pour élaguer son expression de plus en plus proche du texte sacré. Son quotidien de contemplatif voué à l’écriture fut nimbé du silence de l’observation minutieuse de ce qui se manifeste au-delà du mensonge des apparences, dans l’authenticité et l’émerveillement de la manifestation spontanée de la nature. Une attente sans attentes, où se creuse subtilement la magie de la vie. 

« Rien est le tout / de ce que je sais. »

Avec « Le Murmure », Bobin nous délivre un texte écrit au bord du gouffre, durant les deux derniers mois de sa maladie. Toujours aphoristique et conjugué au présent, son style est celui d’un chercheur qui, loin de l’obstination à trouver des réponses, fait de sa quête un chemin de lumière. Et c’est une nouvelle fois à travers son écriture du dedans, tournée en dedans, qu’il nous offre sa précieuse poésie, celle qui « cherche dans le feu, la perle de fraîcheur qui s’y trouve. ». Le feu du combat contre la mort et la fraîcheur de l’amour à jamais réenfanté. 

« J’écris un livre de guerre, pas pour faire des morts mais pour faire des vivants. »

Dans cette œuvre posthume, Bobin mourant sonde l’écriture, son sens, son tracé, son soucis du détail jusqu’au vertige, « celui-là qui bouleverse directement l’âme. ». L’arbre, le nuage, le silence et l’art ne sont jamais très loin, guère plus que les scintillements glanés dans la fulgurance de l’instant et qui par leur magie, font traverser les tragédies et transforment la vie, définitivement tournée vers l’autre. « J’écris pour vous construire un nid. Il fait trop froid dehors.»

Alors, subtilement, s’assemble le patchwork des souvenirs mêlés d’infimes perceptions, de musique et de pensées, fragments tracés à l’orée de la mort comme un bouquet de regards derniers posés sur le monde. On reconnaît ici la griffe puissante de Bobin, hypersensible, rigoureux, vigilant et « toujours aux aguets du moindre rayon de soleil ». 

« J’écris comme se cachent les bêtes éprises de leur fin, blessées à mort par la beauté de vivre. »

Et toujours en toile de fond, la célébration de la Vie ; la Grande, celle qui accorde toute son attention à la note pure de l’essentiel amour. Son ultime ouvrage est dédié à Lydie, la femme aimée, la « Reine », la plume du poète à jamais trempée dans le sourire de sa « présence-absence ». Ce Murmure avant le dernier souffle, la dernière passe des étourneaux qui, dans leurs prodigieuses ondulations, se séparent pour éviter l’obstacle et se rejoignent ensuite, est par-dessus tout le lumineux serment d’une vie qui ne finit jamais. 

Nathalie Hanin

Christian Bobin, Le Murmure, Galllimard, « Folio », mars 2025, 144 pages, 7,60 euros

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