Le nouvel empire, prise de conscience ou politique de l’esbroufe ?

Écrivain et homme politique

Agrégé de lettres modernes, diplômé de Science-Po et de l’ENA, Bruno Le Maire a été directeur de cabinet de Dominique de Villepin puis ministre de Nicolas Sarkozy et aujourd’hui d’Emmanuel Macron. Voici donc une tête bien faite comme dirait d’autres, qui se pique d’ambitions littéraires. On se doit ici de saluer Des hommes d’Etat (Grasset, 2008) et Jours de pouvoir (Gallimard, 2013) où on doit reconnaître à l’actuel ministre de l’économie et des finances un certain talent de mémorialiste. Il publie ici, actualité électorale oblige, un essai sur l’Europe intitulé Le Nouvel Empire, finalement assez passionnant parce qu’il révèle des débats en cours au sein de l’élite de ce pays.

Un constat décapant ?

Dès les premières pages de son essai, Bruno Le Maire a le mérite de reconnaître que la défiance envers les politiques ne cesse de monter, tandis que l’Union Européenne va mal (saluons cette prise de conscience). Quelles en sont les causes ? Sans originalité mais cependant avec lucidité, il fait remonter ce discrédit aux suites du référendum constitutionnel de 2005 : refusé par les électeurs, il fut cependant adopté par les deux chambres sous la forme du traité de Lisbonne de 2008. Or l’électeur français s’en souvient et ne cesse depuis d’en vouloir aux politiques. A raison, car dans une démocratie seul le peuple est souverain et a le dernier mot. Sinon, nous ne sommes plus en démocratie…

L’Europe, pour quoi faire ?

Dans cet essai, Bruno Le Maire alterne les prises de consciences salutaires sur les blocages de l’UE, par exemple sur le budget de la zone euro, bloqué par les néerlandais, ou sur les négociations commerciales avec la Chine, où chaque pays européen part seul à l’aventure… Il appelle ainsi à une grande politique de l’innovation technologique, face à l’avance prise par les américains et les chinois, sans relever que les règles de l’UE empêchent la mise en place d’une politique industrielle nationale ou commune (et pourtant les allemands en ont une mais ils sont dominants). Il attaque la poussée nationaliste et populiste actuelle qui traverse le continent, sans vouloir prendre conscience que les politiques économiques austéritaires en place depuis 2008 sont de véritables carburants pour les mouvements extrémistes qui y trouvent leur raison d’exister. A raison, il note des avancées récentes dues à l’Europe, comme le RGPD, mais n’est-ce pas trop peu, trop tard ?

La France seule…

Là où Bruno Le Maire peut marquer des points, influencer les esprits, c’est en rappelant que la France seule est justement très solitaire. Et comment peser face aux Etats-Unis, la Chine ou l’Inde ? Encore faut-il cependant être entendu face à une Allemagne ordolibérale et dominante en Europe, qui appelle la France à céder son siège à l’ONU à l’union européenne, proposition émanant de responsables de la CDU ? Il n’en dit rien, préférant la bonne vieille rengaine de la centralité du couple franco-allemand, mantra rassurant en ces temps de Brexit… Que faire au fond pour se faire dans une Europe à 28 ?

En fait, monsieur le ministre, une des meilleures solutions à la crise actuelle de l’Europe serait… la politique de la chaise vide du général de Gaulle, car il ne faut pas avoir peur des rapports de force. Si l’Europe via sa forme institutionnelle qu’est l’Union Européenne doit vivre, elle doit se transformer radicalement, par exemple en forçant la BCE à abandonner ses dogmes monétaristes et mercantilistes. Si rien ne change, demain les extrêmes arriveront au pouvoir et ce sera le chaos.

Encore un effort monsieur le ministre ! Et l’Europe sera un nouvel Empire, pacifique… On peut et on doit rêver.

Sylvain Bonnet

Bruno Le Maire, Le Nouvel empire – l’Europe du vingt et unième siècle, Gallimard « hors connaissances, avril 2019, 112 pages, 10 eur

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