Le Procès Goldman, présumé coupable?

Militant d’extrême gauche et bandit notoire, Pierre Goldman nie farouchement sa participation aux meurtres de deux pharmaciennes en 1969. En 1976, il obtient un pourvoi en cassation et espère pointer du doigt les dysfonctionnements judiciaires dont il a été victime. Le procès du siècle s’ouvre…

Des images de clameur populaire contrastent avec la déception de l’accusation, après un verdict très attendu par un homme en particulier. Et, au milieu de la liesse générale, Cédric Khan s’attarde furtivement sur le visage d’un veuf désemparé, probablement le seul véritable innocent dans cette histoire. Quant à cette conclusion, connue par tous ceux qui se seront intéressés à cette affaire tragique des années soixante-dix, elle ne doit pas éluder la fascinante composition développée au préalable par un réalisateur en état de grâce.

Pour l’anecdote, Le Procès Goldman n’a pas eu les faveurs de la compétition officielle cannoise (bien qu’il ait eu l’honneur d’ouvrir le festival), peut-être pour ne pas entrer en concurrence avec Anatomie d’une chute. Il est en effet possible que les membres chargés de la sélection ne voulaient pas de deux films de prétoire, français qui plus est, surtout qu’Arthur Harari, qui endosse ici l’un des rôles principaux, a co-scénarisé le long-métrage de Justine Triet. Si la décision s’avère logique, elle a privé sans doute le travail de Cédric Khan d’une récompense, mais, peu importe désormais… quoi qu’il en soit, en revenant sur ce cas juridique prépondérant, Cédric Khan se lance dans un exercice de style délicat, audacieux, qui ne manquera pas de déstabiliser les soutiens comme les détracteurs de Pierre Goldman.

Ni portrait hagiographique, ni dossier à charge, Le Procès Goldman s’articule autour d’un huis clos anxiogène, parfois volontairement irréaliste, toujours poignant, rythmé par les éclats de voix des uns et des autres. Et au milieu du chaos ambiant, le jury doit s’atteler à un objectif unique, celui de s’attarder sur les faits plutôt que sur des questions morales qui pèsent autant sur l’accusé que sur l’accusation. Des interrogations soulevées par le metteur en scène, au moment d’évoquer le passé de Pierre Goldman ou lorsqu’il traite des instances en perdition. La réflexion bicéphale qui en découle s’inscrit dans une logique qui décrypte intimement l’enjeu déterminant, à savoir établir ou non la culpabilité d’un homme en marge du système.

Itinéraire d’un gangster

Et dès l’introduction, Cédric Khan fait preuve d’une malice méthodique au moment de présenter son protagoniste, à travers les mots acides, voire misanthropes, d’une lettre à l’attention de son avocat. Les termes et le ton employés ainsi que la nature des griefs permettent de dessiner, en quelques secondes, les contours de la personnalité du sujet : un être autodestructeur, revêche, brillant, en guerre contre tout le monde, engagé et attaché à des principes rudimentaires. La chute de la scène, à contre-courant des velléités affichées juste avant, annonce les hésitations à venir, l’incertitude, celle qui disculpe ou au contraire accable ceux assis sur le banc des accusés.

Parfaitement interprété par Arieh Worthalter, Pierre Goldman possède cette aura charismatique, propre à de nombreux révolutionnaires, qui séduit même les membres les plus influents de la société. Chien fou qui refuse l’intégration à un système qu’il juge inique, l’homme se perd en chemin en dépit de ses convictions. La description établie par Cédric Khan touche juste aussi bien durant les joutes oratoires opposant le concerné et l’un des procureurs que lorsque la caméra suit les regards discrets de ses proches, admiratifs ou plaintifs. Dans tous les cas, le cinéaste n’héroïse jamais son personnage par ce procédé, n’omet pas ses faiblesses et ses dérives, qui l’ont amené à être condamné. Obéissant à des règles personnelles, à sa propre rhétorique, Pierre Goldman oublie les vertus de la collectivité, même si cette dernière peut le sauver, à l’image de ses avocats. En offrant une analyse nuancée, dépourvue de toute caricature, Cédric Khan pose des bases suffisamment solides pour mettre en exergue les errements de la machine judiciaire, ce de manière crédible, dépassant le simple plaidoyer sociopolitique.

Hyperbole contrôlée

Si le cri d’alarme de Pierre Goldman, vis-à-vis d’un racisme endémique au sein de la police, résonne toujours aujourd’hui, il est en revanche accompagné d’une démonstration certes un poil grandiloquent, mais qui a le mérite de reposer sur une équation tangible. Ainsi, on ne peut ignorer l’attitude différente du juge quand il accueille les approximations des témoignages, selon qu’ils soient favorables à l’accusation ou à la défense. Néanmoins, Cédric Khan ne s’érige pas lui en démiurge omniscient  ; s’il entend dénoncer l’entropie discriminatoire trop bien ancrée dans la France d’hier et de demain, il compte toutefois s’appuyer sur des preuves concrètes plutôt que sur les injonctions de Pierre Goldman, résultant plus de l’affirmation péremptoire que sur des éléments manifestes.

Voilà pourquoi il s’engage dans l’hyperbole pour ressortir vainqueur de ce match éprouvant. Il est indéniable que les artifices de mise en scène exagèrent des situations plus que de raison, ce qui pourrait nuire d’une certaine manière à l’authenticité de la reconstitution. Les partisans de Pierre Godlman scandant son nom ou les prises de parole incessantes, à la limite de l’incorrection, entraînent le plus souvent une exclusion du tribunal dans la réalité. Mais ici, Cédric Khan souhaite que tous s’imprègnent de l’incandescence émotionnelle pour mieux asséner le coup final et affermir le socle de tout bon organisme judiciaire, le bénéfice du doute (et la présomption d’innocence). Il vaut d’ailleurs aussi bien pour Pierre Goldman que pour les officiers qui auraient fauté à un moment ou à un autre.

De fait, la démarche austère de Cédric Khan, dépouillée des mirages ostentatoires d’Anatomie d’une chute, n’oublie jamais qu’une machine grippée à été vertueuse à l’origine ou qu’un criminel avéré obéit à un code d’honneur et qu’il a, un jour, combattu pour les siens. Par conséquent, nul ne ressortira indemne de cet affrontement, ni les participants et encore moins le spectateur.

François Verstraete

Film français de Cédric Khan avec Arieh Worthalter, Arthur Harari, Nicolas Briançon, durée 1h56, sortie le 27 septembre 2023

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