Play it again, Sam : James Cameron ou l’Esprit de suites (entretien inédit)

14 décembre 2022 : après Avatar, Avatar 2. Mais c’est depuis quarante ans que James Cameron est l’homme des sequels, puisque son premier film était Piranhas 2. Et cette interview datant de 1983, mais inédite, a été réalisée alors qu’il venait d’écrire Rambo 2 et préparait tout à la fois Terminator 2 et Alien 2. Cameron est le réalisateur qui a prouvé maintes fois qu’une suite pouvait n’avoir rien à envier à l’original. 

Quand vous avez réalisé votre premier film, Piranhas 2 : les Tueurs volants, vous aviez fait vos classes à « l’école Roger Corman », en travaillant sur les effets spéciaux de La Bataille au-delà des étoiles…

Oui, mais alors que, de façon générale, les gens des effets spéciaux sont cantonnés dans un coin à part, il n’y a pas de compartimentation chez New World [la compagnie de Corman] : nous ne cessions d’aller et venir d’un département à l’autre. Sur La Bataille au-delà des étoiles, j’ai construit des décors, j’ai travaillé sur des miniatures, j’ai réalisé des prises de vues, j’ai fait partie de la seconde équipe, je me suis occupé d’effets optiques avec les principaux acteurs, et j’ai travaillé quatre mois, en postproduction, sur des explosions de miniatures, des matte paintings et tutti quanti. Bref, je n’avais pas, comme tant d’autres, déjà travaillé sur vingt ou trente films avant de réaliser mon premier long métrage, mais j’avais abordé, avec La Bataille au-delà des étoiles, tout ce qu’on peut faire sur un film.

Vous cumulez d’ailleurs, sur Terminator, les fonctions de réalisateur, de scénariste et de chef décorateur. N’est-ce pas beaucoup pour un seul homme ?

Non, parce que cela permet d’avoir une vue d’ensemble beaucoup plus cohérente. Quand un réalisateur n’est pas aussi un dessinateur, il faut qu’il fasse passer ses idées visuelles avec des mots ou avec des photos piochées dans des magazines. Moi, je peux m’asseoir à la même table que les gens chargés des miniatures ou des costumes et leur montrer ce que je veux, ce qui est essentiel quand, pour un film comme Terminator, on entend construire des choses qui n’existent pas. Bien sûr, le cœur de l’ouvrage reste le scénario, et j’écrivais déjà beaucoup alors que j’étais encore au lycée, mais le cinéma est l’espace où se combinent narration et images. Si j’avais été romancier, je crois que j’aurais toujours eu envie d’ajouter des dessins à mes textes, parce j’ai remarqué que, si précise que puisse être une description, beaucoup de gens n’arrivent pas à voir. Quand on veut se faire comprendre, un bon croquis vaut souvent mieux que deux pages de scénario.

Vous n’aimez guère, dit-on, parler de Piranhas 2…

Il serait absurde de renier ce qu’on a fait, et je ne vais pas dire aux gens : « J’ai fait ce film-ci et ce film-là, mais veuillez ne regarder que ce film-ci. » Mais Piranhas 2 s’est fait dans des conditions extrêmement pénibles. J’ai réalisé la totalité de ce film, à l’exception de scènes tournées par le producteur avec une seconde équipe. Il avait trouvé judicieux d’ajouter des plans de filles seins nus et du gore, avec des personnages qui se faisaient déchirer le visage. Il avait aussi mis sur la bande sonore une musique par lui choisie. Inutile de préciser que j’ai eu des envies de meurtre !

D’ailleurs, j’ai commencé à plancher sur Terminator en rentrant aux États-Unis parce que je voulais oublier le plus vite possible cette douloureuse expérience. Mais j’ai eu la possibilité de refaire le montage de Piranhas 2 pour son exploitation américaine. Je n’ai pas eu le temps de tourner de nouvelles scènes, mais, dans les deux semaines et demie dont je disposais, j’ai refait, avec l’aide de trois ou quatre monteurs, montage, mixage, effets sonores. J’ai même dessiné l’affiche américaine. Et donc, la version américaine correspond en gros à ce que j’avais eu en tête au départ. 

Comment vous est venue l’idée de Terminator ?

En deux heures, alors que j’étais encore à Rome, sans un sou, couché dans mon lit, malade comme un chien, avec 40 de fièvre. Et j’avais lu le seul livre anglais qui traînait dans l’hôtel. Je regardais le plafond en me demandant ce que j’allais faire après Piranhas 2. Bien sûr, Terminator n’a pas été inventé pendant ces deux heures, mais c’est à ce moment-là que se sont cristallisées des idées qui me trottaient dans la tête depuis longtemps, comme celle d’un film où un robot jouerait un rôle central ou celle d’un voyage dans le temps traduit dans la narration par une ellipse. Avec une menace de mort planant sur l’héroïne…

Le déclencheur a été l’image du Terminator sortant d’un rideau de feu. D’une certaine manière, j’ai construit mon histoire à l’envers : je ne voulais pas d’un robot comme on en avait jusque-là vu au cinéma, autrement dit d’un homme déguisé en robot. C’est peut-être dans Saturn 3 que cet écueil avait été le mieux évité. Nonobstant tout le respect que je lui dois, je n’ai jamais cru une seconde que C-3PO pouvait être autre chose qu’un homme dans un costume, même si le costume avait l’aspect d’une armure. Je voulais donc faire le film de robot, mais me suis dit que je ne disposerais pas d’un budget important et qu’il fallait situer l’histoire dans un cadre contemporain. D’où l’idée du voyage dans le temps et de ce robot arrivant du futur pour tuer une jeune femme. La littérature de science-fiction depuis H.G. Wells avait déjà offert nombre de scénarios de ce genre, mais nous avons essayé de combiner les éléments d’une manière un peu nouvelle.

Il a fallu que je me batte pour que la jeune femme soit une serveuse de restaurant. Chez Orion, on n’arrêtait pas de me dire : « Tu n’y penses pas ! Il faut que Sarah travaille dans une compagnie d’informatique, qu’elle exerce une responsabilité dans la société, bref, il faut quelque chose qui contienne en germe ce qu’elle va devenir. » Mais moi, je tenais dur comme fer à l’idée qu’un personnage insignifiant dans le grand ordre des choses devienne, à la suite d’un étrange concours de circonstances, la personne la plus importante du monde. Je voulais que l’identification soit possible pour chaque spectateur, avec cette idée que tout un chacun peut avoir, à son insu, une influence énorme sur l’avenir.

Est-ce que Mad Max 2 a constitué pour vous une source d’inspiration ?

J’avais déjà écrit la première version de Terminator quand Mad Max 2 est sorti et elle contenait déjà toutes les scènes qu’on trouve dans le film définitif. J’aurais aimé faire le film de George Miller, mais je n’aurais pas pu le faire. Je veux dire par là que son imagerie et son rythme correspondaient à ce que je recherchais pour moi, mais, si vous voulez tout savoir, le film que j’avais en tête quand j’ai écrit Terminator, c’était Driver de Walter Hill, qui contient une poursuite de voitures qui ne fait pas partie des grandes poursuites de voitures de l’histoire du cinéma, mais qui est filmée la nuit avec une caméra qui évolue au milieu des véhicules en mouvement. Maintenant, je ne nierai pas que Mad Max 2 ait pu m’influencer. C’était de toute façon une bonne source d’inspiration.

Qu’est-ce qui vous a valu d’être choisi pour écrire le scénario de Rambo II ?

Terminator ! Mon agent a déjeuné avec Larry Wilson, qui travaille pour The Phoenix Company, que dirigent Walter Hill et David Giler [producteurs d’Alien]. Le scénario de Terminator s’est retrouvé entre leurs mains, il leur a plu, ils ont voulu que je travaille avec eux et ils m’ont demandé de choisir entre deux projets. Un Spartacus futuriste, qui avait ma faveur mais qui est resté lettre morte, et Alien 2. Je me suis donc mis à plancher sur Alien 2, mais, entretemps, Hill et Giler avaient fait lire Terminator à des amis qui se trouvaient être les producteurs de Rambo, lesquels m’ont appelé pour que j’écrive Rambo 2… en trois semaines. En définitive, j’en ai eu quatre, à cause des révisions imposées par le contrat et, une chose en entraînant une autre, je n’ai pu finir le scénario d’Alien 2 à la date prévue, ce qui a été ma chance. Si je n’avais pas été en retard, la réalisation d’Alien 2 aurait été confiée à quelqu’un d’autre !

Seule a été retenue la seconde moitié de mon scénario pour Rambo 2. Dans les quatre versions que j’avais proposées, Rambo était escorté d’un copain. Mais Stallone a fini par dire : « Ça ne marche pas. Il faut que je sois tout seul. » Il a donc réécrit le scénario, mais en conservant la seconde partie, ma seconde partie, qui est celle qui contient les scènes d’action.

Et donc, vous travaillez maintenant sur Alien 2…

Ou plus exactement sur Aliens, puisqu’il y a aura beaucoup d’aliens dans ce film. Mais je ne vous en dirai pas plus. Le studio et moi ne sommes pas encore tombés d’accord : en face de moi, j’ai des gens qui envisagent ce film comme un petit film, quand je vois, moi, une grosse production.

Et Terminator 2 ?

Je ne suis pas sûr de le réaliser moi-même. Je me contenterai peut-être de le produire. L’histoire que j’ai imaginée combine le présent et le futur. Je meurs d’envie de représenter la guerre mondiale de l’avenir.

Science-fiction, toujours et encore ?

J’ai toujours dévoré la littérature de science-fiction, sans vraiment songer que je pourrais un jour devenir réalisateur. Jusqu’au jour où j’ai vu 2001, et où j’ai découvert qu’un film de science-fiction pouvait être aussi une œuvre d’art.

Quel âge avez-vous ?

Trente ans. Mais je vais sur mes quatre-vingts. 

Propos recueillis par Adam Eisenberg et Shinji Nakato

(Traduction et adaptation FAL)

Une réflexion sur “Play it again, Sam : James Cameron ou l’Esprit de suites (entretien inédit)

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