Le Silence de Dennis Lehane, la vengeance d’une mère

Un des maîtres du polar américain

On connait ici Dennis Lehane depuis longtemps, grâce à des romans comme Mystic River ou Gone Baby Gone, adaptés au cinéma (le premier, par Clint Eastwood, est une merveille). Puis Dennis Lehane a peint l’Amérique autant en romancier qu’en historien avec la série consacrée à la famille Coughlin avec Un pays à l’aube et Ils vivent la nuit, des romans magistraux qui viennent confirmer les qualités et le style de Lehane. Le Silence, qui vient de paraître chez Gallmeister, est, comme on va vite le voir, un roman noir très intense.

Retour aux années soixante-dix

Boston, été 1974, après la démission de Nixon. Voici Mary Pat Fennessy, une ménagère américaine d’origine irlandaise, comme pratiquement tout le monde dans le quartier de South Boston. Mary Pat travaille comme aide-soignante. Pour elle, la vie n’a pas été simple. Son premier mari était un voleur et a disparu, le deuxième l’a plaqué. Quant à son fils Noel, il est mort d’une overdose après avoir fait le Vietnam. Il ne lui reste que Jules, sa petite Jules qui a bien grandi. Tout le quartier de South Boston est vent debout contre le Busing qui consiste à scolariser ensemble enfants blancs et noirs. Mary Pat est contre, comme tout le monde. Un soir, Jules la quitte pour passer la soirée avec son copain – Rum, un con, et des amis. Mary Pat laisse faire. Mais Jules ne rentre pas. La mère s’inquiète, passe des coups de fil, secoue quelques connaissances. Car le quartier est entre les mains de la pègre, de la mafia irlandaise. On lui promet des réponses. Et on lui balance du fric :

Elle regarde l’argent dans la sacoche et ses larmes ruissellent sur les billets. Elle sait maintenant que sa fille est morte. Elle sait que sa fille est morte.

Mary Pat ne prête, au début, pas attention à un autre évènement : un jeune noir a été tué. Le fils d’une de ses collègues aide-soignante. Et plus Mary Pat va botter des culs, remuer la merde – elle n’a plus rien à perdre, on lui a tué son seul et dernier enfant -, plus elle va se rendre compte que tout est lié.

Une peinture noire d’une Amérique pas si lointaine

On se rappelle ici de l’Amérique des années soixante-dix, de ses séries et de son glamour. Rien de cela dans Le silence où on a droit aux prolos et à leurs dilemmes. Le Silence est l’histoire d’une mère qui n’a rien plus à perdre et qui va devenir un ange exterminateur. Cela n’exclue pas chez elle des prises de conscience, très douloureuses par rapport à ce qu’on appelle là-bas les « relations entre races » (le génie américain a exporté ses névroses chez nous). Le Silence foisonne aussi d’histoires, celles des gens du coin tout simplement. On ressort secoué de la lecture de ce roman par rapport aux destins conjugués de la mère et de la fille. On reste pantois devant la maîtrise narrative déployée par Dennis Lehane, écrivain majeur de notre époque (seul un guignol dirait le contraire, j’assume mon jugement). Lisez Le silence et réfléchissez ensuite.

Sylvain Bonnet

Dennis Lehane, Le silence, traduit de l’anglais par François Happe, Gallmeister, avril 2023, 448 pages, 25,40 euros

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