« Les Aveux de la chair » de Michel Foucault, tome inédit de son Histoire de la sexualité
C’est littéralement l’événement éditorial de l’année philosophique. Nous ne l’attentions plus ! Pourtant, tout le monde savait que Michel Foucault travaillait sur un quatrième tome de son extraordinaire Histoire de la sexualité. Trente ans plus tard, voilà Les Aveux de la chair enfin en librairie.
L’ouvrage commence par cette note sidérante : « Les ayants droit de Michel Foucault ont considéré que le moment et les conditions étaient venus pour la publication de cet inédit majeur. » Il aura donc fallu trente ans pour cela ! Eh oui, car, fait rarissime, le philosophe français, professeur au Collège de France, avait pourtant presque achevé ce quatrième tome, lorsque sa mort le surprit, et l’emporta, sans qu’il ne puisse lui mettre un point final, et relire sa copie. Or, deux ans avant sa mort, survenu en 1984, Michel Foucault avait formulé l’instruction expresse suivante : « Pas de publication posthume. » C’est de cette demande curieuse, que ce livre ne paraîtra, retardataire de 38 longues années, puisque le texte fut longtemps condamné à souffrir dans l’enfer d’un tiroir, suscitant chez les lecteurs, une frustration majeure. Cette réparation de la part de Gallimard, et des ayants droits, est donc la bienvenue.
Les Aveux de la chair, le quatrième et dernier volume de la série, commencée en 1976 avec La Volonté de savoir, paraît enfin. À sa lecture, on ressent qu’il vient à point, pour éclairer une actualité, et un monde contemporain, qui mérite la lecture d’un grand penseur. Au regard des commentateurs de l’info que nous avons aujourd’hui, assez peu regardant sur la rigueur de leur pensée, et assez peu dotés d’outils critiques adéquats, cette nouvelle parution de Michel Foucault est donc une double bonne nouvelle.
Foucault, comme Derrida, Deleuze, et Lacan, en son temps, incarnait la French touch, une pensée critique et déconstructioniste phare, dérangeante, désopilante, et souvent, accusée d’être l’origine de jaillissements verbeux, de lésions conceptuelles cutanées plutôt malheureuses. Encore aujourd’hui, donc, il règne comme un soupçon sur la légitimité des textes de Foucault, accusé d’être un suppôt d’Hitler, (puisqu’il avait annoncé à la fin de son ouvrage Les Mots et les choses, la « mort de l’homme », ce qu’on ne lui pardonna pas, alors qu’il n’annonçait en réalité qu’une mort de l’homme comme figure, comme pli du savoir ; une mise en cause de la référence « homme » dans les sciences humaines exclusivement) l’accusant également d’être l’éminent représentant d’une technocratie structurale (parce que sa façon d’aborder l’histoire de la pensée était nommée par Foucault lui-même une « archéologie » des savoirs), et j’en passe…
Foucault donc nous revient, et je devrais dire, fort heureusement ! Ce travail colossal, que fut la lecture et la publication de ce quatrième tome, on le doit à Frédéric Gros, l’éditeur des œuvres de Michel Foucault dans la Bibliothèque de la Pléiade. Or, qu’est-ce qui d’emblée de jeu, marque notre lecture ? Probablement est-ce le fait que ce quatrième tome de l’Histoire de la sexualité est consacré aux pères de l’Église, et qu’il clôt cette « vaste étude sur la généalogie de l’homme du désir » sur une sorte de ligne de front, une ligne Maginot posant comme principe que les Anciens gèrent les plaisirs selon l’ordre de la raison, quand les chrétiens, eux, créent une « herméneutique », qui n’est autre qu’une interprétation du désir. Armé d’outils dialectiques et conceptuels, Foucault continue donc l’enquête commencée en 1976, en traitant de l’expérience chrétienne de la chair, s’appuyant sur les Pères des premiers siècles (II-Ve siècles), Clément d’Alexandrie, Tertullien, Cyprien, Ambroise, Jean Chrysostome, Cassien. Ce n’est donc pas de l’interdit de la chair dont il est question dans ce livre, mais plutôt de l’invention d’une subjectivité, le rapport à la chair qui se voit modifié par l’expérience de la chair, le rapport de l’esprit au corps. Loin d’être un livre qui s’oppose au christianisme et à la religion, nous sommes plutôt en présence d’un roman de la vérité de la chair, de ses aveux, de ses confessions comme expérience des « mystères du cœurs ».
Exploration certaine de l’homme du désir, vaste anthropologie foucaldienne, l’homme depuis l’ère chrétienne fut moins frustré par des interdits irrationnels, que mis face à sa réalité de son désir, et responsabilisé par les textes chrétiens vis-à-vis de ses comportements et de la réception du désir. Or, si l’essence de l’homme est le désir, comme le disait Spinoza, cette interprétation du désir vient à point nommé, dans une époque, où le désir tout, déborde et inonde l’homme, sans qu’aucune lecture critique ne lui éclaire le chemin nouveau, sur lequel il se voit s’engager. Voici chose réparée…
Marc Alpozzo
Michel Foucault, Les Aveux de la chair. Histoire de la sexualité 4, édition établie par Frédéric Gros, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », février 2018, 438 pages, 24 euros