Fermez vos gueules, les mouettes ! d’Olivier Maillart
La veine du cinéma de Sautet, pimentée à la sauce Allais, pour dire, avec légèreté, l’état du pays fait de Fermez vos gueule les mouettes un livre des plus agréables à lire.
Les humoristes ont toujours raison d’installer leurs victimes dans un milieu qu’ils connaissent bien : un milieu dont ils ont les codes et savent à la perfection les ombres et les lumières. Ici, il s’agit des profs et non plus des professeurs : des êtres désabusés qui ont depuis longtemps cessé de prendre au sérieux une mission impossible mais tentent, autant que faire se peut, hommes de bonne volonté, de conserver un peu de dignité et d’humanité dans un contexte qui le leur interdit désormais, tout en prétendant à grand bruit le contraire.

Les profs, contrairement aux professeurs-ancien régime, ont cessé d’avoir des familles stables, une vie réglée par l’horloge de la cour du lycée et les sonneries de fin de classe. Aujourd’hui, ils picolent, fument des substances illicites ou se bourrent de cachetons, couchent à droite et à gauche, écoutent les mêmes musiques, visionnent les mêmes séries que leurs élèves mais lisent des traités de désespoir, comme les autres hommes. Les profs ne portent plus de cravates pour honorer la grammaire ni de tenues strictes pour dire la grande Histoire. Ils craignent avant tout de ne pas être aimés par leurs élèves qui les regardent en songeant tristement “ Je serai moi aussi demain cette pauvre chose “, comme si s’être vus déconsidérés et mal payés, jetés de leurs estrades et entravés de mille manières, avaient fait d’eux l’exact reflet de la société sans perspective et sans idéal, dans laquelle leurs élèves, demain, seraient condamnés à vivre.
Sur le quai de la gare d’une petite ville de la côte normande, des profs se retrouvent pour enterrer un des leurs, Henri R., civilisation des prénoms oblige. Henri avait été leur mentor : un professeur de philosophie qui, jusqu’au bout, avait tenté de tenir la place. Bien ou mal ? Qué saura… Son fils, tatoué comme un maori, a – Socrate où est ta victoire ? – même apparence que les fils grandis dans des appartements sans livres.
Comme au cinéma, le lecteur suit la petite bande, monte dans la voiture qui emmène les protagonistes au lieu de la crémation. L’accent est mis sur la dégradation du territoire, l’incroyable laideur des entrées de villes, la surréelle abjection des ronds-points, la violence des zones d’activités sportives, commerciales ou laborieuses, narguant le charme mélancolique de paysages qui tentent encore, à l’instar des profs, impuissants et timides, de s’imposer.
Maillart est un écrivain pro qui sait en quelques lignes instruire son lecteur et lui donner à entendre ce qu’il va lire : la mort en ce jardin, déréglant l’ordinaire et dénudant les blessures, qu’un monde non conforme à l’homme, inflige à ses misérables résidents. En moraliste et donc en médecin, sur le monde où nous vivons, sans cesser de nous faire sourire, il porte un rude et juste diagnostic. La crémation à la française, si différente de celle qui, depuis des temps immémoriaux, se pratique aux rives du Gange, la veillée funèbre, si semblable à un cocktail en ville… En ce monde désacralisé de toutes parts, le grotesque a force de loi, avilissant chaque acte et chaque pensée, faisant de tous et de chacun une pauvre figurine de foire.
Le ton est juste et le diagnostic sans appel. Dans le rite d’ensevelissement, s’exprime la civilisation ou son contraire la barbarie. Soft ici, comme l’est devenue la tyrannie. Soft aussi, la sourde violence des campagnes, livrées par la misère aux dangers et aux crimes, longtemps demeurés l’apanage des seules grandes villes et devenue, à bas bruit, l’ordinaire du pays.
Pour que roman il y est, Maillart fait voler l’urne à ses personnages qui – on les comprend ! – se refusent à voir les cendres de leur ami finir au columbarium qui fait face au lycée et préfèrent – un truisme – les rendre aux vents qui fécondent les marées et les landes.
Le roman sociétal emprunte au burlesque américain ses codes mais peine, en dépit de quelques beaux moments, à briser la glace du monde. Peut-être l’accumulation des folies du temps – Covid oblige ! Sans omettre le nouveau féminisme, la question du poil, – épilé ou pas ? -, les habitants du nouveau pays d’Oz, les migrants errants, faméliques fantômes et tristes ectoplasmes, en terres d’exil – de cette impression de rester un peu sur sa fin est-elle cause ?
Certes l’intelligence de l’auteur intéresse, sans parvenir à emporter tout à fait son lecteur en Littérature.
Pourquoi ? Comment ?
Dur métier que celui de prof !
Dur métier que celui qui enseigne à classer, ranger, expliquer, traquer l’implicite : par où le sensible advient. Dur métier que celui qui vous condamne à la citation perpétuelle et non plus au partage de l’expérience et des âmes. Juste des références. Des références justes, mais peu de chair.
En dépit de ces réserves qui n’engagent que leur auteur, Maillart demeure un écrivain à lire, à suivre – la première partie des Dieux cachés, son premier roman, dont nous avions rendu compte ici-même[1], approchait de la perfection. Il a pour lui l’intelligence aiguë, la finesse de l’observation, le souci du monde et l’élégance de la plume. Toutes qualités bien supérieures à la moyenne de la rentrée littéraire mais le résultat s’avère encore trop sage.
A qui ne risque rien manquera toujours la grâce.
Trop tendre pour la sprezzatura, le pamphlétaire en est pour ses frais et le romancier, trop occupé à faire sourire son lecteur et à multiplier les effets, refuse, à ses dépens, l’accès au duende.
A demain, Olivier Maillart ! A demain…En confiance.
Sarah Vajda
Olivier Maillart, Fermez vos gueules, les mouettes, Héliopoles, collection Serge Safran, mai 2025, 142 pages, 17 euros
[1]https://boojum.fr/les-dieux-caches-olivier-maillart