Les barons du gaullisme, des mousquetaires
Auteur d’une biographie d’Albin Chalandon (Perrin, 2023) et d’une Histoire du Gaullisme social (Perrin, 2021), Pierre Manenti, normalien de formation, publie ici un nouvel ouvrage consacré à ceux qu’on a appelé les « Barons » du Gaullisme, cette fois chez Passés composés. Les fameux Barons firent couler d’encre en leur temps, suscitant bien des fantasmes chez de nombreux journalistes. Quel fut leur poids politique ?
Qui sont-ils ?
Il faut d’abord s’entendre sur cette liste. Pierre Manenti a choisi d’en retenir d’abord six : Jacques Chaban-Delmas, Michel Debré, Roger Frey, Jacques Foccart, Olivier Guichard et Gaston Palewski. Tous ont connu la guerre, l’armée, la Résistance, même si le parcours d’un Guichard, le plus jeune, est un peu sinueux (son père avait travaillé dans le cabinet de l’amiral Darlan). Ces six-là avaient l’habitude de se réunir lors de déjeuners hebdomadaires à la maison de l’Amérique latine ou ailleurs. Mais certains noms manquent. Pensons à Couve de Murville et Pompidou bien sûr. On aurait pu citer André Diethelm, fidèle compagnon du Général et membre du RPF, mort trop tôt, Pierre Messmer ou Louis Terrenoire.
Et puis il y a le « cas » Soustelle. Baron il fut, jusqu’aux mésententes des années cinquante quand Vincent Auriol voulut le pousser à demander l’investiture à Matignon lors d’un vote à l’assemblée nationale, ce qui fit enrager de Gaulle. La cause de l’Algérie française sépara ensuite définitivement Soustelle de son ancien patron… Malraux aussi aurait pu être compté dans le cercle des Barons.
Que pèsent-ils ?
Fidèles serviteurs du Général, ils sont voués corps et âmes à leur patron. Ils intriguent ainsi pour favoriser son retour au pouvoir à la fin des années cinquante : le rôle de Chaban, ministre de la défense nationale en 1957-58, intrigue par exemple. Ils le servent aussi jusqu’au bout, comme Michel Debré à Matignon : le père de la constitution de 1958 est ainsi obligé de renier son engagement en faveur du maintien de la France en Algérie. Foccart, plus dans l’ombre, se charge du maintien de l’influence française en Afrique noire, du SAC aussi, jouant un rôle trouble comme au Biafra. En 1969, ils rallient Pompidou mais leur loyauté n’est pas exempte de critique et en 1973, l’UDR est derrière eux. Leur influence décline après 1974 qui voit Chaban, pourtant un des hommes les plus doués de sa génération, échouer face à Giscard et Chirac s’emparer du parti gaulliste grâce à un certain Charles Pasqua. On parlera de Guichard à Matignon en 1979-80, Chaban-Delmas intriguera pour être nommé à Matignon en 1986 par François Mitterrand (un de ses amis !) mais leur rôle effectif se termine dans ces années-là. Chirac aura ses propres féaux (comme Pasqua, Juppé, Villepin) et n’a plus besoin d’eux.
Excellent essai rétrospectif.
Sylvain Bonnet
Pierre Manenti, Les barons du Gaullisme, Passés composés, janvier 2024, 300 pages, 22 euros