Nadia Wassef, La Librairie du Caire
Co-fondatrice de la librairie Diwan, phénomène culturel et économique égyptien, Nadia Wassef raconte sa création, les efforts pour la maintenir et la développer. La Librairie du Caire est le récit de cette aventure entrepreneuriale et humaine.
Trois entrepreneuses
Deux sœurs et une amie d’enfance ont grandie en privilégiées, culturellement. Au cours d’une soirée, l’idée est lancée, comme un défi, de créer au Caire une librairie qui saura répondre aux attentes de tous les lecteurs, et faire découvrir la littérature (mais aussi les livres de cuisine, l’Histoire…) à un plus grand nombre, même si le livre reste un objet onéreux. Ainsi Diwan est né en 2002. Et son histoire est passionnante. Car c’est aussi l’histoire d’un pays et d’une culture.
Le Librairie du Caire nous apprend énormément de choses sur l’Egypte moderne. Le rapport avec l’Egypte antique, à la fois méconnue et idolâtrée, au point que certains y voit la raison de l’affaiblissement contemporain (XX). La pression culturelle patriarcale, la montée d’un intégrisme musulman qui oublie que le pays s’est construit sur la coexistence cultuelle (dont le drapeau est lui-même témoin), malgré un antisémitisme primordial. La pression de la bureaucratie, sa lenteur, ses méandres kafkaïens, et le poids de la censure. La pression patriarcale au point que lors de rendez-vous c’est le chauffeur et homme de confiance de Nadia Wassef qui discute pendant qu’elle attend en baissant la tête.
Malgré tous ces obstacles, Diwan a réussi à imposer un modèle occidental de librairie, avec en son centre un café, un espace détente, des toilettes libres d’accès (un détail, mais d’une grand importance pour les femmes et les travailleuses). La concurrence qui copie leur modèle les oblige à se renouveler, et à leur tour elles ouvrent des succursales. La première, dans une immense maison de maître, trois étages de livres – autant dire le Paradis ! Puis d’autres points de ventes. Et tout avait commencé par une innovation marketing : la fidélisation sur la marque par le logo, les sacs en série limitée offerts, la qualité de l’accueil, tout pour faire de la librairie – espace de vente – d’abord un lieu de convivialité et d’échange.
Trois femmes
Au-delà des contraintes matérielles, administratives, politiques, culturelles, les trois femmes à l’origine de Diwan montrent leur capacité hors norme de travail et de partage. Si au départ chacune fait tout, il faut rapidement s’organiser et se répartir les tâches et les rayons. Qui la comptabilité ou les relations fournisseurs, qui la gestion du personnel ou du l’espace café, qui le rayon en langue anglaise et qui celui en langue arabe. Mais jamais rien ne viendra se glisser dans leur détermination et leur cohésion. Même les salariés qui volent, même les clients qui râlent. Elles ont réussi à transposer le concept de librairie moderne au cœur du Caire, et à y insuffler leur énergie propre. C’est une famille unie qui diffuse sa belle énergie et promeut le livre comme jamais jusqu’alors.
Le récit est par ailleurs émaillé de belles réflexions sur le pouvoir des livres, sur le rôle des femmes dans la société et leur lutte quotidienne, sur les richesses d’une humanité en laquelle elles ne perdent jamais espoir. Le Librairie du Caire est une belle leçon de vie, d’abnégation, d’entreprenariat, et d’humanité, sur laquelle plane ce si bel amour des livres.
Loïc Di Stefano
Nadia Wassef, Le Librairie du Caire, traduit de l’anglais par Sylvie Schneiter, Éditions Points, avril 2024, 281 pages, 8,30 euros