Alphonse Boudard, une vie à crédit

Il était temps, temps de consacrer une biographie complète, fouillée, documentée, structurée sur Alphonse Boudard. Il fut un grand écrivain (Prix Renaudot pour Les Combattants du petit bonheur). Son indispensable livre Cinoche (1974) est un portrait au vitriol de ses expériences dans le monde du cinéma que ce soit en tant qu’auteur adapté, scénariste ou dialoguiste. Ce que l’on fait de mieux dans le genre. Et c’est donc Dominique Chabrol qui s’y frotte avec Alphonse Boudard, une vie à crédit.

Boudard au cinéma

Je m’empresse de préciser que si vous cherchez une multitude d’informations sur le Boudard homme de cinéma, passez votre chemin. Cette biographie ne s’y attarde que très peu, arguant du fait qu’il s’agissait d’une activité annexe — et purement lucrative — pour l’Alphonse. S’il prit du plaisir à travailler avec Gabin, il n’en fut pas de même pour ses travaux de commande autour de Delon ou Belmondo. Ce livre nous rappelle tout de même que le scénariste Boudard préféra retirer son nom du générique du Tatoué pour cause de tripatouillage infernal.

Alphonse Boudard resta amateur de cinoche et s’improvisa parfois critique. Quand sortit le médiocre Les Egouts du paradis, il écrivit dans Pariscope : « Les dialogues sont signés Michel Audiard, qui est devenu, avec les années, plus sobre, plus efficace, sans perdre de sa gouaille à fleur du trottoir. Pour la bonne bouche, je note cette réplique digne des plus grands aphoristes : « En France, les révolutions commencent avec Rimbaud et finissent avec Séguy ! »… »

une vie, des écrits

Foin de cinéma ici, donc, mais du Boudard à toutes les pages. Et comme il y en a 450 denses, on est largement servi. Car Dominique Chabrol eut l’excellente idée de confronter l’incroyable parcours d’Alphonse Boudard avec ses propres écrits. Et de se rendre compte que l’écrivain prenait un malin plaisir à romancer sa propre vie. Et pas forcément pour s’accorder le beau rôle.

Enfant sans père (qu’il ne connut jamais) et avec une mère aussi volage que volatile, il grandit loin des draps de soie. Quand la guerre éclata, il se révéla un résistant courageux et finit par poursuivre les nazis en intégrant l’armée française. Par la suite, il versa dans la délinquance et goûta, trop souvent selon lui, de l’inconfort des prisons. Il apprécia également l’absence totale de bien-être des sanatoriums qu’il fréquenta, à son corps défendant, pendant dix ans. Enfin, tardivement mais définitivement, il fut reconnu écrivain. Son premier roman, La Métamorphose des cloportes, date de 1962. Il devint un film avec Lino Ventura, dialogué par Michel Audiard.

Tout cela est raconté avec un luxe de détails par Dominique Chabrol. C’est une vraie biographie qui s’efforce d’aller au fond des événements. Rien n’y est enluminé, tout est brut de décoffrage, comme le fut la vie d’Alphonse Boudard. Et ses propres écrits apportent un nouvel éclairage voire une note de dérision. 

La partie littéraire est peut-être un peu encombrée par de trop nombreuses critiques d’époque rappelant que nombreux furent ceux à lui trouver du talent. J’ai la faiblesse d’estimer que la prose boudardienne se suffit à elle-même.

le constant besoin d’argent

Outre l’enfant, le résistant, le militaire, le délinquant, l’auteur, on découvre un Boudard qui n’a cessé de tirer le diable par la queue. Toujours en quête d’un peu de fraiche pour améliorer son quotidien. Même si le cinéma le rémunéra généreusement, il n’obtint jamais les millions d’un Audiard. Il faut reconnaître que son talent de dialoguiste demeurait loin de son talent d’écrivain. On ne saurait réussir dans tous les domaines. 

Spécialiste de l’argot, Alphonse Boudard fut aussi un enfant de Louis-Ferdinand Céline. Il fréquenta un peu le père de Bardamu mais fut surtout pote avec l’un de ses anciens proches, le peintre Montmartrois Gen-Paul. Cela donne des pages truculentes.

une biographie de référence

Il est évident que tout amateur de Boudard se doit de lire cette biographie. Car elle nous apprend beaucoup sur le bonhomme et nous aide à comprendre certaines choses : d’où vient son style, où Boudard a-t-il puisé toutes ses rocambolesques anecdotes, pourquoi a-t-il commis certains écrits, etc. C’est aussi un hommage à son style si particulier. Car, s’il resta dans le cheminement de Céline, Boudard sut trouver sa propre façon d’écrire. Son brio reste incomparable pour dresser des portraits et camper des situations.

Et, puisqu’il est toujours de bon ton de terminer par une citation, j’en choisirai une issue de cette Métamorphose des cloportes (le livre) :

C’est le train des choses, les obsessions du dieu Boulot. On ne comprend rien au monde moderne tant qu’on ne s’est pas appliqué un peu de métro quotidien sur la viande. 

Que les nantis des lambris en prennent de la graine !

Philippe Durant

Dominique Chabrol, Alphonse Boudard, une vie à crédit, Écriture, janvier 2020, 451 pages, 24 eur

Laisser un commentaire