Rimbaud est vivant
Plus les portraits d’un écrivain notoire se font rares, plus ils sont iconiques. Et dans le grand XIXe siècle, l’image du jeune Rimbaud, cheveux hirsutes et visage d’ange sérieux, a profondément marqué. Que serait-ce si sa vie de bohème avait été documentée ? C’est le beau projet de Luc Loiseaux, par ailleurs poète lui-même, que de donner vie à l’homme aux semelles de vent dans ce très bel album, Rimbaud est vivant.
Cinq années effervescentes
On sait que Rimbaud aura eu une petite enfance toute emprisonnée entre une mère stricte et fort croyante et l’absence d’un père. On sait aussi comment Rimbaud finira, tristement, triste sire malade et fort peu humaniste dans ses errances coloniales. Mais ce qui importe, du moins pour l’histoire de la littérature, ce sont cinq petites années, où la fulgurante d’un talent précoce s’est mêlée à un profond désir de s’en aller loin. Loin des codes de la poésie, qu’il triture tout en donnant l’impression de les ménager. Loin de siens, par les routes qu’il emprunte à pieds par autant de fugues qu’il lui sera possible de tenter. Et qu’il soit ramené chez Georges Izambard, son bien aimé professeur et premier mentor, par la maréchaussée, ou qu’il aille avec Verlaine s’encanailler jusqu’au tragique coup de révolver belge, c’est toujours un Rimbaud bohème qui restera.
Entre 1870 et 1875, c’est l’âge d’or de la création rimbaldienne. Et c’est cette période que tente de reconstruire, par les faits, par les correspondances croisées, par les témoignages et les études qui lui ont été consacrées fort nombreuses, que Luc Loiseaux recompose un Rimbaud ange magistral de la poésie. Saint patron, pourrait-on dire, tant il est magnifié. Il y a un sacrifice de soi, et un sens rare de l’écriture, couplé à une solide culture, un respect de ses maîtres (au premier rang desquels Théodore de Banville et Victor Hugo) et un mépris pour les pisse-froid. Il en ressort un jeune homme touchant, brut et magistral dans son art, dans ses relations avec le monde et avec la vie elle-même. C’est un portrait d’une vraie intelligence, de poète à poète, avec aussi une certaine pudeur à signaler son amour inconditionnel pour l’inaltérable adolescent qu’il demeure.
L’IA au service de la rêverie poétique
Les progrès technologiques ne sont pas tous là pour abêtir l’espèce humaine, du moins si on n’en forme pas le projet et si on sait s’en servir. Ayant créé un avatar (au sens stricte de réincarnation) numérique, grâce à l’intelligence artificielle, Luc Loiseaux redonne proprement vie à Arthur Rimbaud en nous offrant des images d’une rare vraisemblance. Rimbaud, bien sûr, en ville (Paris, Mézières, Bruxelles) ou à la campagne, mais aussi un Paul Verlaine merveilleusement ébouriffé au fil de leur histoire d’amour et l’œil perdu, Germain Nouveau, Charles Cros et les autres, dont la famille réunie autour de Vitalie mourante.
Le réalisme des décors (bistrot, rue, gare, campagne…) est bluffant, comme si Nadar lui-même était à la manœuvre. Quant aux visages, s’ils sont réalistes et donnent à comprendre les émotions, il demeure sur ceux de Rimbaud une trace de mystère, volontairement laissé. Cet éclat particulier, qui fait de lui l’image parfaite d’un couple ange et démon, auquel il n’est pas possible de ne pas être follement attaché.
Avec Rimbaud est vivant, Luc Loiseaux réussit l’exploit d’ajouter le possible pour compléter les seules huit photographies connues de Rimbaud vivant, dans un portrait émouvant d’un moment rare dans l’histoire de la littérature française, celle d’une trajectoire incandescente et inaltérée !
Loïc Di Stefano
Luc Loiseaux, Rimbaud est vivant, Gallimard, novembre 2024, 272 pages, 100 illustrations, 39 euros