Le livre écorné de ma vie, l’écrivain et son double selon Lucius Shepard
Un auteur phare du genre
Décédé en 2014, Lucius Shepard s’était imposé dans le monde des littératures de l’imaginaire en imposant un ton assez personnel, mêlant fantastique et science-fiction, en publiant des romans et des nouvelles où se reflétaient notre monde troublé : La vie en temps de guerre (Robert Laffont, 1987) s’inspirait ainsi de la guerre du Vietnam et Kalimantan (Denoël, 1992) critiquait les effets de l’ingérence américaine en Amérique centrale. Le livre écorné de ma vie est une nouvelle inédite en français que publie Le Bélial dans sa fameuse collection une heure lumière.
Voyage au bout de soi
Mon nom, Thomas Cradle, n’est pas des plus répandu, mais lorsque je suis tombé sur un livre écrit par un autre Thomas Cradle alors que je consultais mes œuvres sur Amazon (un passe-temps auquel je m’adonne fréquemment comme de nombreux auteurs), je n’y ai guère prêté attention, m’inquiétant surtout de savoir si ce Cradle nouveau et inconnu n’était pas supérieur au Cradle connu.
Voici donc un écrivain qui se découvre un homonyme, auteur d’un roman, La Forêt de thé, devenu culte. Thomas Cradle ne s’en inquiète pas donc mais décide de le lire. Et le trouble augmente : par certains aspects, il aurait pu être écrire ce livre. Mieux : il aurait aimé l’écrire. Et l’auteur est né la même année que lui, dans la même ville et a fréquenté la même université. « Cradle 2 », disparu au Cambodge, hante “Cradle 1”, au point que celui-ci décide de partir là-bas pour effectuer une traversée du fleuve Mékong. Que va-t-il trouver ?
Testament littéraire
En terminant Le Livre écorné de ma vie, on est frappé par la narration de Shepard. Ce dernier livre un récit déroutant, parfois drôle, angoissant, qui évoque bien sûr Conrad (et Coppola). On est séduit par cet univers bariolé où on glisse petit à petit vers le bizarre, le fantastique, à partir de petits grains de sable qui viennent dérégler la réalité. Shepard montre en tout cas que les genres de la science-fiction et du fantastique peuvent engendrer de vrais écrivains.
Sylvain Bonnet
Lucius Shepard, Le Livre écorné de ma vie, Le Bélial, « Une heure-lumière », traduit de l’anglais par Jean-Daniel Brèque, illustration de couverture d’Aurélien Police, juin 2021, 144 pages, 9,90 eur