« La Plus belle avenue du monde », une histoire sociale et politique des Champs-Elysées

Face au monde contemporain

Historienne et maîtresse de conférences à l’université de Rouen, Ludivine Bantigny est spécialisée dans l’étude des mouvements sociaux au XXe siècle. On lui doit par exemple 1968, de grands soirs en petits matins (Seuil, 2018), La France à l’heure du monde (Seuil, 2013). Elle a choisi dans « La Plus belle avenue du monde » de se livrer à une étude sur l’histoire sociale et politique de l’avenue des Champs-Élysées, lieu mis en évidence lors de l’incendie du Fouquet’s par les Gilets jaunes. Un des indices selon notre historienne du caractère socialement conflictuel de ce haut lieu historique, culturel et touristique. Alors, allons-y.

La naissance d’un espace

En bonne historienne, Ludivine Bantigny se penche sur les circonstances de la naissance des Champs-Élysées. On voit les premiers arbres plantés au XVIIIe siècle, entourés des premiers hôtels particuliers, dans un espace encore en friche, loin du cœur de Paris. L’érection de l’arc de triomphe, voulue par Napoléon et achevée par Louis-Philippe, annexe définitivement la future avenue à Paris. Longtemps, c’est un coupe-gorge, surveillé par la police. Cette longue avenue habitée par des nobles et des grands bourgeois, où naissent des restaurants huppés, est aussi fréquentée par le peuple, qui revêt ses beaux habits le dimanche et vient s’y promener.

Pour Ludivine Bantigny, l’avenue des Champs-Elysées est dès le départ un lieu où les classes sociales se font face, sans se mélanger.

Un lieu de mémoire ?

L’avenue est marquée par l’histoire. On s’y précipite parfois pour manifester, comme le 30 mai 1968. C’est là aussi que les allemands défilent en 1871 et en 1940. Pendant la seconde guerre mondiale, ils habitent l’avenue, vivant défi pour de jeunes patriotes qui, le 18 novembre 1940, viennent rendre hommage au soldat inconnu, malgré les interdictions. C’est là aussi que le général de Gaulle viendra en août 1944 : les images du héros de la France libre, descendant l’avenue entourée d’une foule incroyable, appartiennent à la mythologie du lieu. Sur un mode mineur, il en est de même en 1998 lorsque l’équipe de France de football, tout juste championne du monde, descend les champs saluée par une foule innombrable. Ce sera différent en 2018 où la foule amassée aura tout juste le temps de les apercevoir…

L’espace des inégalités

Lorsqu’on lit ce livre, il apparaît clairement que Ludivine Bantigny pense à gauche. Elle livre en tout cas une description très juste et saisissante des conditions de travail dans les établissements des Champs-Élysées, hôtels, grands magasins ou restaurants. Salaires de misère, heures sup’ payées au lance-pierre, exploitation des salariés. On est sidérés aussi par le mode de vie des ultra-riches qui vient heurter celui des employés, corvéables à souhait et soumis au moindre de leurs desiderata. La hausse du prix du mètre carré chasse les derniers habitants et les champs se transforment en étape immanquable du tourisme globalisé. Un symbole éclatant du néolibéralisme total en somme.

On peut comprendre alors, sans le soutenir, l’incendie du Fouquet’s par les gilets jaunes. L’analyse de Ludivine Bantigny appelle le lecteur à réfléchir.

Sylvain Bonnet

Ludivine Bantigny, « La Plus belle avenue du monde », La Découverte, mars 2020, 288 pages, 21 eur

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