Destin d’un homme remarquable, d’Hiroshima à Fukuoka
D’abord publié par Albin Michel en 2015, Destin d’un homme remarquable vient d’être réédité en poche, dans une édition revue et augmentée. Sous ce titre un peu banal, Marc Petitjean a ajouté à bon droit ce sous-titre : « D’Hiroshima à Fukuoka ». La vérité est que le sous-titre en dit bien plus que le titre. Pourquoi ? Parce que, en bon connaisseur du Japon, Marc Petitjean a eu le privilège de rencontrer un homme vraiment extraordinaire, le docteur Shuntaro Hida. Mort à l’âge de cent ans, en 2017, Shuntaro Hida a eu le triste privilège d’assister aux deux explosions terribles qui ont secoué le Japon, la bombe atomique d’Hiroshima, et le drame de la centrale atomique de Fukuoka. Non seulement il en fut le témoin, mais, comme médecin, il fut amené à soigner des dizaines de gens irradiés, qui portèrent pendant des années les marques douloureuses de l’explosion.
C’est cette expérience que raconte Petitjean, ayant su se lier d’amitié avec ce grand médecin, qui fut aussi un infatigable chercheur. En effet, outre son rôle éminent auprès des blessés, il fit dans le monde entier, et aux Etats Unis notamment, des conférences sur les graves et durables dangers du nucléaire, et participa à maints colloques et congrès savants, où ses prises de position radicales, parfois offensives, n’ont pas toujours séduit son auditoire.
un anti-nucléaire
Bien entendu, ce livre qui fait beaucoup parler le docteur Hida, a choisi son camp, celui des anti-nucléaires, qu’il s’agisse du nucléaire civil ou militaire. A écouter ce grand savant, qui ne cache pas ses sentiments humanistes, socialistes et pacifistes, le lecteur aura du mal à se cantonner dans neutralité absolue. La sincérité de l’homme n’est pas douteuse, son dévouement non plus, et Marc Petitjean a forcément épousé cette cause, ne négligeant rien de ce qui peut être convaincant, jusqu’à en détailler les plus nauséeuses descriptions.
Mais le docteur Hida va aussi plus loin. Certes il attaque les grandes sociétés industrielles spécialistes de l’énergie, et bien entendu les Américains, d’avoir fait bon marché des centaines de milliers de vies humaines. Mais il dresse aussi un réquisitoire politique contre le gouvernement japonais, qu’il l’accuse d’avoir cédé à l’emprise américaine pour minimiser les vraies conséquences des bombes d’Hiroshima et Nagasaki, qui se sont pourtant fait sentir sur des rescapés pendant des décennies.
Et il renouvelle de virulentes accusations contre le gouvernement qui, ne tirant aucune leçon du drame de 1945, n’a pas su protéger la population de Fukuoka, quand « le 12 mars 2011, suite au séisme de magnitude 8,9, et du tsunami qui venaient, la veille, de dévaster le nord-est du Japon, le réacteur n°1 de la centrale nucléaire de Fukushima explosa, suivi deux jours plus tard du réacteur n°3 ». Sous-estimant, là encore, le degré de la catastrophe, le gouvernement contribua, dit-il, à augmenter le nombre des victimes.
Destin d’un homme remarquable est certes un plaidoyer, et doit être lu comme tel. Mais c’est aussi un témoignage à la fois sensible et scientifique sur un sujet diablement d’actualité.
Didier Ters
Marc Petitjean, Destin d’un homme remarquable, Arléa, avril 2021, 200 pages, 10 eur