Un amour hors du temps, ma vie avec Luis Sepúlveda

Carmen Yañez, née en 1952 est une des poétesses latino-américaines les plus importantes de son temps. Dans ce récit, dédié à l’amour de sa vie, Luis Sepúlveda, décédé en 2020, c’est une prose parsemée de souvenirs et de poèmes qu’elle nous offre. Pour ce couple d’amoureux, écrivains, comment ne pas prendre la plume pour dire la force de l’amour qui résiste au temps et à l’horreur ? Et ce vide immense de l’absence éternelle…

L’amour, d’abord

Les deux amants se rencontrent très jeunes. Rapidement, ils sont épris l’un de l’autre comme de poésie. Pour défier l’autorité parentale qui voit d’un mauvais œil cette union, ils font un enfant et se marient. Ils n’ont alors que 18 ans. Outre les poèmes qu’ils partagent, ils sont engagés tous les deux pour la cause du président Salvador Allende qui tente de mettre en place un État socialiste, légalement et sans violence. Mais le coup d’état du 11 novembre 1973 mené par Pinochet va mettre entre parenthèses leur histoire d’amour pour un temps incertain. Ils ne se retrouveront que vingt ans plus tard, abîmés par des années de terreur, de torture et d’exil, amoureux comme au premier jour.

De l’engagement à la torture

La jeune Carmen, emportée par son engagement politique et son besoin d’émancipation, décide de mettre un terme à sa relation avec son amour, qui, lui-même a été contraint de s’exiler.

Très engagée, l’arrestation devient inévitable. On vient la chercher chez elle, au milieu de la nuit pour l’emmener en détention à la Villa Grimaldi, ou elle subit de multiples tortures, ainsi que le supplice d’entendre celles infligées à ses compagnes de cellule.

Osvaldo Romo était un des personnages les plus sinistres dans la persécution du Mouvement […]. Dans un entretien télévisé qui stupéfia et horrifia le monde, (…) Romo justifia avec impudence l’application du courant électrique au vagin et aux pointes de sein des détenues, « parce que ce sont les parties du corps où les marques ne sont pas visibles ». Et il dit pour finir que « les militaires faisaient leur devoir en tant que patriotes en défendant la patrie contre le communisme et qu’il ne regrettait rien » (…) C’est lui-même qui me renvoya de la Villa Grimaldi d’un coup de poing pour que je n’oublie jamais sa main, et je me suis évanouie ! Je me suis réveillée au milieu d’une décharge, les yeux collés par un ruban adhésif, mes vêtements mouillés et sales.

De la torture à l’exil 

Après la torture, vient l’exil. Il est temps de partir pour Stockholm et de mettre son fils en sécurité, loin de ce pays qui est le sien et qu’elle porte dans sa chair. Elle vit cet exil comme un arrachement. Elle énumère avec justesse tous ces petits détails du quotidien, insignifiants en apparence, qui prennent tout leur sens quand on doit les quitter pour ne peut-être plus jamais les voir ni les toucher. Elle part avec son enfant et une valise de « 14 kilos » et pas plus, remplie de ce qui est tolérable d’emporter pour aller faire une vie ailleurs.

Un exil 

Ce regard

De mon désespoir

Retient une ville perdue,

Barque à la dérive,

Naufrage d’odeurs.

Et pas de problème :

Où que j’aille

Je porte une cité perdue.

Rien n’émerge, mais pointe

Un petit bout de seconde peau.

L’amour, enfin 

Carmen vit de longues années en Suède, elle refait sa vie et a un deuxième fils. Luis vit un moment en Equateur, il a une fille puis s’installe en Allemagne et voyage beaucoup. Il a trois autres garçons.

Un jour, la vie les remet sur les mêmes rails. Rien n’a changé. L’alchimie est toujours là. Le temps et les blessures n’ont pas terni leurs sentiments. 

C’est ainsi qu’ils reconstruisent une vie commune, autour de leurs enfants, de leurs amis, de la joie et de l’écriture.

C’est avec une extrême tendresse que Carmen Yañez nous confie son histoire d’amour hors du commun et qu’elle peint le portrait d’un homme passionné, doux, profondément gentil et drôle, cet homme qui écrivit vingt ans après le coup d’état « Le vieux qui lisait des romans d’amour ». 

« “Ce n’est point l’amour qui nous unit, c’est l’effroi”. Et le tango, nous aimions le tango. »

Dans cette douceur de vivre, cette évidence d’être ensemble, ils referment la parenthèse de leur séparation comme si elle n’avait jamais existé.

En 2020, Luis et Carmen tombent malades. Ils entrent ensemble à l’hôpital. Carmen en sortira sans son « Lucho ».

De cette écorchure profonde, ne restent que la tendresse et les poèmes.

Un amour hors du temps, ma vie avec Luis Sepúlveda est un récit touchant et intime qui donne envie de lire des romans d’amour.

Elodie Da Silva

Carmen Yañez, Un amour hors du temps, ma vie avec Luis Sepúlveda, traduit de l’Espagnol (Chili) par Albert Bensoussan, Métailié, mars 2023, 176 pages, broché 16 euros / poche 9,99 euros

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