L’araignée pendue à un cil, 33 femmes surréalistes
Sortant traumatisés de la guerre de 1914-18, les surréalistes voulaient que ça change ! Deux étoiles ont guidé leur marche : la liberté, l’amour. Voilà ce qui a intéressé plus d’une femme ! Aucun mouvement artistique n’avait encore fait une si large place aux femmes.
Les femmes ne sont pas des muses
S’ils cherchèrent une autre représentation de la femme, les artistes masculins surréalistes se contentèrent trop souvent d’exalter leurs idéaux machistes, faisant de LA femme la muse de leurs rêves prête à servir leur érotisme.
Les artistes femmes, par contre, récusèrent toutes l’essentialisation de la féminité. Tout en revendiquant haut et fort leur identité de femme, et parfois une certaine liberté par rapport à la définition des genres.
De même Annie Lebrun, récemment décédée, s’insurgea contre l’étiquette de la « femme surréaliste », qu’elle voyait comme une récupération de la culture établie. Elle la compare au « cadavre exquis qu’attendaient tous ceux que la révolte féminine épouvante et que la rigueur surréaliste terrorise ».
Par centaines, elles furent peintres comme Baya, Leonora Carrington, Leonor Fini ou Mimi Parent (à qui on doit l’image de couverture du livre) ; sculptrices comme Élisa Breton ; photographes comme Nusch Éluard, Dora Maar ; cinéastes comme Germaine Dulac ou Nelly Kaplan ; créatrices de mode comme Gala Dali, Elsa Schiaparelli ; et écrivaines.
Ce livre édité par Marie-Paule Berranger, “surréalistement” titré L’araignée pendue à un cil, ne rassemble que trente écrivaines surréalistes, ce qui représente déjà un beau travail de recherche dont témoigne la précieuse bibliographie qui clôt le livre. Le grand public cultivé n’en connaîtra que la moitié. On y fera de belles découvertes, comme celle de Simone Breton, dont André fut le mari de 1921 à 1931. On sera étonné d’y rencontrer Laure, l’égérie de Georges Bataille et de Jérôme Peignot. On y retrouvera Frida Kahlo, Nelly Kaplan, Joyce Mansour et tant d’autres…
De la liberté en amour
Les brèves biographies introduisant les textes de chacune nous révèlent que ces écrivaines et plasticiennes ont mis en pratique la liberté dans l’amour. Elles ont entretenu plus d’une liaison avec les hommes du mouvement. En voilà un exemple marquant qu’on ne retrouvera pas dans le livre : Gala, née Elena Ivanovna Diakonova, rencontre Paul Éluard au sanatorium de Clavadel, elle l’épouse. Elle pose pour Max Ernst, devient son amante, ils vivent à trois quelque temps. Elle finit par quitter Paul Éluard pour Salvador Dali, dont on dit qu’il était impuissant… Bien sûr, telle n’est pas l’expérience de toutes les femmes surréalistes !
Si les textes publiés sont parfois inégaux, ils témoignent tous d’une belle liberté d’écriture qui semble aujourd’hui perdue. C’est qu’aucune d’elles n’a cherché à faire de leur expression un commerce : aucune n’a cherché à devenir écrivaine professionnelle, ce que refusait d’ailleurs tout surréaliste. C’est une des raisons pour lesquelles Louis Aragon fut exclu du groupe. De page en page, on retrouvera des bonheurs d’écriture qui illustrent tous, dans leur extrême diversité, l’esprit surréaliste. On se prend à le regretter !
Mathias Lair
Marie-Paule Berranger(édition de), L’araignée pendue à un cil, 33 femmes surréalistes, Gallimard « Poésie », novembre 2024, 528 pages, 13,20 euros