Paradis Paris : avis sur une Comédie Humaine en perdition
Qu’ont en commun une ancienne vedette de l’opéra, un cascadeur anglais, une grand-mère préparant les festivités pour les quinze ans de sa petite fille, une adolescente suicidaire ou le présentateur d’une célèbre émission télévisée ? Leur rapport à la vie et à la mort ou comment se confronter à ces deux notions élémentaires dans un Paris en constante ébullition.
Lorsqu’elle adapta sa propre bande dessinée à l’écran en 2007, Marjane Satrapi avait conquis public et critiques, avec une fable autobiographique touchante, alternant pesanteur et légèreté avec brio. Nanti d’une animation minimaliste, Persépolis affichait des qualités indéniables et annonçait logiquement l’éclosion d’une réalisatrice et scénariste talentueuse. Un vent d’air frais et surtout de renouveau soufflait sur le cinéma hexagonal. Hélas, dix-sept ans plus tard, les espoirs placés dans cette étoile montante puis filante se sont évanouis au fur et à mesure des déceptions.
Marjane Satrapi ne convainc plus grand monde, en dépit de sujets abordés passionnants, à l’image de ce portrait raté de Marie Curie dans Radioactive. Voilà pourquoi son incursion dans le domaine du film choral présente un énorme risque pour elle, tant cet exercice requiert une rigueur qui ne lui sied guère. Ce genre très en vogue dans les années deux-mille, a depuis perdu les faveurs des cinéastes (souvent pour le plus grand bien du spectateur).
On se remémore par exemple les partitions prétentieuses de Cédric Klapisch, les tentatives d’abord audacieuses puis frelatées d’Innaritu, l’oscarisé (à tort) Collision voire les désastres ambulants rassemblant un parterre de stars comme Ma place au soleil (celui-ci peu de personnes en gardent un réel souvenir). Ces exemples multiples démontrent que la pratique s’avère difficile et que Marjane Satrapi s’est sans doute embarqué dans une galère avec ce Paradis Paris. Un constat qui se confirme au fil des minutes, même si certaines prestations et quelques artifices ingénieux sauvent l’ensemble du naufrage absolu.
Beaucoup de bruit pour rien
Le monologue d’introduction déclamé par André Dussollier annonce avec perte et fracas les velléités du long-métrage. Sous un couvert faussement innocent, Paradis Paris désire disserter sur le concept de la vie et de la mort, parfois avec nonchalance, trop souvent avec un sérieux qui frise le ridicule et la philosophie du comptoir du bar, tenu ici par Alex Lutz. Marjane Satrapi s’interroge sur les raisons qui poussent les uns et les autres à continuer, ce qui motive leur existence ou au contraire ce qui les incite à en finir, brassant au passage toutes les thématiques sociales possibles.
En abordant le harcèlement scolaire ou la peur du vieillissement et le rapport de la femme à son propre corps, la cinéaste clame haut et surtout trop fort ses belles intentions. Résultat, elle se vautre dans des métaphores grotesques et tous les clichés imaginables au vu du contexte. Marjane Satrapi n’invente pas, n’innove pas et créé à peine, avec parfois des situations qui frisent l’inconfort. Se vautrer dans les poncifs en montrant un Mike renoncer à son activité périlleuse pour son fils est une chose, décrire le calvaire d’une jeune fille avec une dérision toute macabre en est une autre…
Déambulations dans le vide
Plus le temps s’écoule, plus le dispositif mis en place s’écroule tandis que la cinéaste s’enlise dans cet amalgame de métaphysique du pauvre et de galvaudage par l’humour. Pis encore, Paris n’est même pas sublimée malgré le titre racoleur qui induit l’importance du cadre de la capitale pour l’intrigue. Excepté une vision extraite d’une carte postale, symbolisée par un André Dussollier contemplant les passants jouir de leur quotidien fugace, Paris n’a jamais le droit à un traitement visuel digne de ce nom et surtout original.
La cinéaste ne capte jamais vraiment son essence, appliquant son regard embourgeoisé quand elle immerge ses protagonistes dans les rues de la ville. Marjane Satrapi gâche le maigre potentiel de son sujet, tandis que par instants, elle retrouve les élans poétiques qui animaient Persépolis, surtout lorsque vient sourdre une once de noirceur et de désespoir. La scène durant laquelle une adolescente absorbe une énorme dose de médicaments fait écho à celle d’une cantatrice déchue ingurgitant une bouteille d’alcool.
Un voile pudique recouvre ces moments glaçants et instille un peu d’authenticité à l’ensemble. Et puis, quand on ne s’y attend plus, le long-métrage touche du doigt l’équilibre. Une femme entonne un chant funèbre devant la foule et rend un dernier hommage à son amant agonisant tandis que durant la séquence la plus drôle du film, Rossy de Palma s’affranchit des classes et des conventions, pour convaincre son interlocutrice que tout ne va pas si mal.
De fait, on entrevoit dès lors ce qu’aurait pu être Paradis Paris et ce qu’il se contente d’être à l’arrivée : un plat indigeste qui dégage malgré tout des saveurs encore subtiles. Quelques bonnes idées ne sauvent pas la recette concoctée par une cheffe dépassée de plus en plus par son art. Et malheureusement, ce problème concerne beaucoup d’auteurs aujourd’hui…
François Verstraete
Film français de Marjane Satrapi avec Monica Bellucci, Ben Alridge, André Dussolier, Rossy de Palma. Durée 1h49. Sortie le 11 juin 2024.