Coup de vent, comédie humaine

De la télévision au polar

D’abord scénariste pour la télévision (on lui doit un épisode de la série Star Trek Voyager) et le cinéma, Mark Haskell Smith s’est tourné vers l’écriture. Les lecteurs français ont pu le découvrir aux éditions Rivages avec À bras raccourcis en 2004, Delicious en 2007, Défoncé en 2016 ou encore Ceci n’est pas une histoire d’amour en 2016 également. Il se dit amateur (et donc influencé) de T.C. Boyle et Elmore Leonard. Coup de vent est paru à la rentrée et on va vite voir que le cocktail qui nous est concocté décoiffe sévère.

Seul au monde

Il était une fois Neal Nathanson, un naufragé perdu dans l’océan, assoiffé et affamé, s’accrochant à l’épave d’un voilier brinquebalant. Neal aperçoit un navire à l’horizon et décide d’attirer son attention en faisant un feu… avec des billets de banque. Ça marche, le voici recueilli par Chloe, une navigatrice partie dans un long voyage. La jeune femme est curieuse, surtout après avoir trouvé des sacs remplis de dollars, de découvrir l’histoire de Neal :

Elle engouffra la dernière bouchée de poisson et cogna l’assiette contre la coque pour envoyer la fin de son riz dans l’océan. Puis elle reposa l’assiette, prit une rasade d’eau de sa gourde et plongea son regard dans le sien.

— Raconte-moi ce qui t’es arrivé, Neal. Dis-moi d’où vient l’argent.

La grande arnaque

Il était une fois le trader Bryan LeBlanc, travaillant dans une grosse boîte de Wall Street sous les ordres de la charmante Seo-yun. Bryan vit dans un appartement hérité de son père, un poète marginal. Bryan, à la fois révolté par le système et tenaillé par l’envie de profiter du farniente, détourne plus d’une quinzaine de millions de dollars et disparaît dans les îles. La boîte décide d’envoyer Neal Nathanson à ses trousses et Seo-yun : les deux en profitent pour s’échapper de leurs vies trop programmées.

Les voilà partis dans les Caraïbes à la recherche de Bryan, qui commet bientôt un meurtre. Vont-ils le retrouver et surtout mettre la main sur cet argent, à l’insu du FBI ? Au fond, en-ont-ils vraiment envie ?

Une critique féroce et drôle de notre époque

Coup de vent est un roman drôle et actuel. On y voit des personnages obsédés par l’argent et la richesse, en même temps tenaillés par la culpabilité (c’est évident pour ce qui concerne Bryan LeBlanc). Ces personnages sont la proie d’un auteur rebelle, qui les malmène et les pousse dans leurs ultimes retranchements avec une férocité satirique. Si l’argent motive le monde chez Haskell Smith, la vie suscite regrets et dévoilement de ce qu’on est. Coup de vent secoue, émeut, fait réfléchir (à quoi bon accumuler des millions ?).

Coup de vent mérite donc, malgré les embardées (mais quel humour !) d’être essayé.

Sylvain Bonnet

Mark Haskell Smith, Coup de vent, traduit de l’anglais par Julien Guérif, Gallmeister, « americana », septembre 2019, 256 pages, 22 eur

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