Mark Mazower, Antisémitisme, métamorphose et controverses


L’antisémitisme comme phénomène historique et social en constante mutation

Mark Mazower, professeur d’histoire à l’université Columbia (New-York) est spécialiste de l’Europe du XXe siècle et des totalitarismes. Il insiste sur la nécessité d’appréhender l’antisémitisme moderne non comme un phénomène figé, mais comme une réalité en perpétuelle transformation, tout en conservant des éléments de continuité. L’antisémitisme s’enracine dans une histoire ancestrale, mêlant dimensions religieuses, raciales et politiques (1). Mazower met en lumière la manière dont l’antisémitisme s’adapte aux contextes sociaux et politiques, passant d’une forme traditionnelle (religieuse, puis raciale) à des expressions contemporaines plus subtiles et souvent liées à des enjeux géopolitiques ou identitaires.

Mazower montre que l’antisémitisme moderne s’est nourri de la crise des sociétés européennes, notamment après la Seconde Guerre mondiale, où l’on a cru un temps à sa disparition. Pourtant, il a resurgi sous de nouvelles formes, notamment à travers le négationnisme, l’antisionisme radical, et une instrumentalisation des conflits au Proche-Orient. L’État d’Israël, initialement perçu comme une renaissance après la Shoah, est devenu un catalyseur de tensions, alimentant des préjugés dans certains milieux de gauche comme dans des communautés issues de l’immigration arabo-musulmane.


Les métamorphoses contemporaines : entre globalisation et territorialisation

Mazower analyse comment l’antisémitisme s’est globalisé et territorialisé. Les réseaux sociaux et la circulation des discours de haine ont permis une diffusion transnationale des stéréotypes antisémites. Et l’antisémitisme s’est ancré dans des espaces locaux, comme les banlieues françaises, où il se mêle à des dynamiques identitaires et à des conflits sociaux. Les attentats des années 2010 en France ont illustré cette territorialisation, avec des actes violents ciblant des symboles juifs et une perception, chez certains Juifs, d’un « abandon » par la République.

Mazower souligne aussi l’émergence d’une « nouvelle judéophobie », moins raciale qu’identitaire, où les Juifs sont accusés de bénéficier de privilèges (thèse des « deux poids, deux mesures ») ou d’instrumentaliser la mémoire de la Shoah. Cette évolution reflète une crise plus large des sociétés multiculturelles, où les revendications identitaires et les tensions communautaires redéfinissent les formes de la haine.


Controverses et défis pour la lutte antiraciste

Mazower interroge les controverses entourant la mesure et la définition de l’antisémitisme. Doit-on le distinguer du racisme, ou les combattre ensemble ? Les débats sur l’islamo-gauchisme, la cancel culture, ou l’intersectionnalité révèlent des clivages au sein même des mouvements antiracistes. Certains universalistes dénoncent les dérives identitaires, tandis que d’autres insistent sur la nécessité de reconnaître les spécificités de chaque forme de discrimination.

Mazower, dans Antisémitisme, métamorphose et controverses, appelle à une approche intégrée, articulant les dimensions sociales, culturelles et historiques du racisme et de l’antisémitisme. Il met en garde contre les simplifications, qu’elles viennent des tenants d’un « exceptionnalisme » juif ou de ceux qui minimisent la singularité de l’antisémitisme au nom d’un antiracisme indifférencié.

L’apport de Mazower réside dans sa capacité à montrer que l’antisémitisme, loin d’être un reliquat du passé, se réinvente en fonction des crises politiques et des mutations sociétales. Son travail invite à une vigilance constante, tant sur le plan historique que dans l’analyse des dynamiques contemporaines. Les résurgences récentes de cette manière particulière de haïr l’autre (en Hollande, en France…)

Loïc Di Stefano

Mark Mazower, Antisémitisme, métamorphose et controverses, traduit de l’anglais par Marc Saint-Upéry, La Découverte, septembre 2025, 376 pages, 23,50 euros

(1) On consultera avec fruit le documentaire Histoire de l’antisémitisme qui remonte aux origines égyptiennes de cette haine.

Laisser un commentaire