La Couleur des choses, le monde vu du ciel
Né en 1982 à Genève, Martin Panchaud est dyslexique. Si c’est un obstacle pendant sa scolarité, il apprend à en faire une force. Il se concentre sur la lecture et l’étude des formes dont l’interprétation et les significations font l’objet de ses recherches. Cette particularité donne un aspect unique à tous ses travaux. D’abord publié en Allemand en 2020, le premier roman graphique de Martin Panchaud, La Couleur des choses, est édité en Français en septembre 2022. Il a décroché le Prix Toute Première Fois du Festival BD de Colomiers en 2022 puis le Grand Prix de la Critique ACBD en 2023 et enfin le Fauve d’or à Angoulême, la même année.
La forme des choses
Mais quelle est donc cette chose que le lecteur tient dans ses mains ? Une carte aux trésors ? Un vieux plan d’une ville inconnue ? Google Maps ? Les règles abstraites d’un nouveau jeu vidéo ? Non, il s’agit bien d’une bande-dessinée, plus précisément d’un roman graphique. En tout cas, il est bien question d’une histoire.
Dans La Couleur des choses, les personnages sont représentés par des points de couleurs différentes. Ces points se déplacent dans des carrés, des rectangles, représentations graphiques en deux dimensions des lieux dans lesquels ils évoluent. On suit souvent le mouvement des personnages en les géolocalisant. Comme sur une carte Maps, on voit la distance qu’ils ont à parcourir d’un point à un autre. On suit leur trajet par une ligne rouge.
Parfois, certains dessins sont développés avec plus de précision, leur conférant ainsi une importance particulière à un moment de la narration. Bien que l’ensemble du graphisme fonctionne sur un modèle très épuré, la subite apparition d’un dessin en 3D vient chercher l’attention du lecteur pour mettre en relief une ambiance, une situation ou une émotion.
Les bulles de dialogues, quant à elles sont matérialisées par des traits fins qui prennent naissance au cœur du cercle de celui qui prend la parole.
Une cavale en 2D
De prime abord, on se demande comment faire abstraction de cette forme complexe, et comment voir des personnages à la place des cercles.
En réalité, la forme n’est pas complexe du tout, c’est même l’inverse. Et d’ailleurs, on n’en fait pas abstraction et c’est ça qui est génial. Il faut à peu près deux pages à l’œil pour faire la mise au point et s’habituer à cette nouvelle façon de voir les choses, qui laisse une place énorme à l’imagination.
On entre alors dans l’histoire de Simon Hope (cercle orange), Daisy Hope (cercle bleu) et Dan Hope (cercle vert).
Simon a 14 ans. Il est le fils de Daisy et Dan, un homme alcoolique et violent.
Moqué par ses camarades pour son surpoids, il est le souffre-douleur de trois crapules du même âge. Harcelé quotidiennement, Simon fait tout ce qu’ils lui demandent pour ne pas qu’ils le frappent.
Un jour, alors qu’il fait les courses pour une diseuse de bonne aventure, elle lui prédit un gros gain s’il mise sur Black Caviar, à la course de chevaux du Royal Ascot.
- On l’a vue l’autre jour faire ses courses au Sainsbury’s
- C’était horrible ! Elle transpirait et poussait des petits gémissements à chaque pas.
- Un taxi ! Ça doit lui coûter une fortune.
- Alors, on s’est dit qu’on pouvait lui livrer ses courses !
- Mais voilà. Le problème, c’est que dans le quartier, on s’est déjà fait une mauvaise réputation. Alors elle n’a pas trop confiance.
- Mais toi, c’est différent. Vu que tu es gros…comme elle.
La voyante avait vu juste et Simon a gagné gros, très gros. Seulement, comme il n’a pas 18 ans, il ne peut pas empocher l’argent.
Quand il rentre chez lui, son père a disparu et sa mère baigne dans son sang.
Avec son billet gagnant qui vaut plusieurs millions de livres, Simon part en quête de son père pour qu’il puisse l’échanger et faire sortir sa mère du coma.
Mais un gamin qui trimballe ce genre de billet ne reste pas seul très longtemps. La rumeur se propage vite et Simon va avoir de gros ennuis.
Au milieu de cette histoire digne d’un polar, une baleine bleue intervient. Elle mesure 28 mètres de long pour 156 584 kilos, selon sa fiche descriptive. À travers une carte des flux migratoires, on comprend que cette baleine ne va pas tarder à croiser la route de Simon.
Une baleine bleue, nommée B-52 pourra-t-elle faire changer le cours des choses ?
Aujourd’hui, elle se fait vieille et sa vie est presque terminée. Évidemment, elle ne peut pas le savoir, mais des choses passionnantes vont encore lui arriver, dans pas très longtemps…
Assurément, La Couleur des choses est une œuvre hybride, unique en son genre, dont le contenu fascine autant que le contenant.
Un livre à géolocaliser de toute urgence dans la librairie la plus proche !
Elodie Da Silva
Martin Panchaud, La Couleur des choses, Éditions ça et là, septembre 2022, 236 pages, 24 euros