« Maurice G. Dantec, prodiges et outrances » la non-biographie

Il y a les grandes biographies à l’américaine, où le chercheur se positionne au-dessus de son sujet pour le subsumer, analyse tout de sa vie et de ses oeuvres, le contexte social et historique, sa formation, ses influences, son travail, sa vie, etc. Il y a les grandes biographies à la russe qui sont le récit passionné d’une vie. Des sommes qui font revivre un personnage dans sa singularité et sa spécificité. Et puis il y a la biographie d’Hubert Artus, Maurice G. Dantec, prodiges et outrances

 

une jeune fille

Pour le militant d’extrême gauche radicalisé spécialiste du football, lire et admirer Maurice Dantec, c’est un peu comme pour une toute jeune fille approcher le démon du stupre, c’est tentant mais il faut aussi bien se flageller après. C’est l’impression générale qui ressort de la lecture de Maurice G. Dantec, prodiges et outrances, où Hubert Artus choisit le ragot et la fange plutôt que la lumière, et va vite s’y laver l’âme. Autant de coups de fouet que de petites jouissances.

Le ragot ? oui, parce qu’il entend un son de cloche et en fait sa vérité. Artus va chercher les éléments à charge et jamais à décharge, il accumule les interprétations et les on-dit sans y opposer la parole de la défense. Qui plus est, certaines de ses allégations sont fausses, tout simplement.

Bien pire encore, la fange. Artus met sur le devant de la scène quelques informations sales, qui relèvent de l’intime, choisissant la position du valet qui lorgne par le trou de la serrure… Est-ce ajouter à la vérité d’un écrivain de raconter par le menu ses petites faiblesses ?

 

Il y a deux manières de combattre la liberté de pensée : sa suppression pure et simple et le droit donné aux abrutis de la recouvrir de leur bavardages. »

(Maurice Dantec, Le Théâtre des opérations)

 

 

Quant au livre

Passé ce petit écoeurement de méthode, deuxième constat désagréable : le livre est affreusement mal écrit, on croirait une conversation entres potes où l’on parle de « livres imbitables » (p. 57), par exemple. Ceci suffirait à me faire refermer le livre. Mais sans doute ne suis-je pas assez moderne…

On y apprend quand même quelques choses, notamment sur la première période de sa vie, sa jeunesse et sa carrière de musicien punk, la première influence de Jean-Patrick Manchette aussi. C’est cette tenue qui manque au livre, au lieu d’insulter un livre qu’on n’a pas compris, il aurait été plus convenable d’être plus modeste devant une oeuvre qui, contrairement à celle de son biographe, durera.

 

Regrets

La première biographie consacrée au génie torturé qu’était Maurice G. Dantec n’est pas à la hauteur du double enjeu : être la première devait donner à l’auteur la mission de poser les premières pierres, de balayer l’oeuvre et la vie en s’extrayant de l’analyse alors que constamment on sent le sujet jugé par son auteur… ; et Maurice G. Dantec n’était pas un écrivain comme les autres, sans doute Artus aurait-il dû s’attaquer à un sujet plus simple… A moins qu’il n’ai trouvé que celui-ci pour parler de lui, ses frustrations, ses mauvais combats, ses partis-pris et ses propres limites ?

J’ai rencontré Maurice G. Dantec à plusieurs reprises, pour le fêter, pour l’interviewer, ou simplement passer un moment avec lui et discuter. A chaque fois, un homme doux et attentif, certes avec sa propre idée de la foi chrétienne et sa propre lecture du monde, ses lubies et ses démons, mais pas le monstre psychotique qu’Hubert Artus dessine. Et à quelle fin ? Peut-être voulait-il régler leurs comptes à ses propres démons et éteindre le feu qui couve encore peut-être sous ses jupes de petite fille… mais c’est faire beaucoup de mal à un grand écrivain pour une si petite fin.

On passera son chemin si on est un lecteur de Maurice G. Dantec…

 

Loïc Di Stefano

Hubert Artus, Maurice G. Dantec, prodiges et outrances, Séguier, mai 2018, 336 pages, 21 eur

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