Quand la gauche pensait la nation, les débats de la social-Démocratie à la belle époque
Un historien de la social-démocratie
Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Rouen, Jean-Numa Ducange est l’auteur d’une thèse de doctorat en 2009, sous la direction de Paul Pasteur, intitulée Élaborer, écrire et diffuser l’histoire de la « Grande Révolution française » dans les social-démocraties allemande et autrichienne (1889-1934) qui a lancé sa carrière de chercheur : il sera l’homme qui étudiera les sociales démocraties européennes. Il est également l’auteur de Jules Guesde. L’anti-Jaurès ? (Armand Colin, 2017). Il livre avec Quand la gauche pensait la nation un essai passionnant sur le lien entre nation et socialisme (surtout allemand) à la belle époque, .
L’Allemagne et l’Europe
On découvre donc ici des chapitres centrés sur les débats qui secouent le SPD allemand et son homologue autrichien autour de la notion de nation, allemande bien sûr. L’échec de la révolution de 1848 est très présent puisqu’il scella autant que la bataille de Sadowa la séparation de l’Autriche du reste du monde germanophone. Et puis notons que les social-démocraties germanophones s’épanouissent dans le cadre de sociétés impériales et multi-ethniques (surtout l’Autriche-Hongrie). Du coup, nos sociaux-démocrates sont obligés de réfléchir sur la question des nationalités, slaves principalement. Le grand mérite de l’ouvrage est de nous montrer des intellectuels et des dirigeants imprégnés de culture allemande qui finissent par envisager favorablement les droits des minorités, ce qui n’exclue pas l’attachement à la Kultur allemande. On découvre aussi avec plaisir la richesse des débats avec les socialistes français, Jaurès au premier chef. L’internationalisme était une réalité.
Un rapport paradoxal
Au fond, la gauche européenne en général et allemande en particulier reste attachée à l’idée de nation. Elle essaie de combiner ce patriotisme avec l’internationalisme, les deux concepts apparaissant à la fois comme complémentaires et antagonistes. En 1914, on verra des internationalistes voter les crédits de guerre au Reichstag et à la chambre des députés alors que le congrès de l’Internationale était encore en préparation quelques semaines auparavant. On verra aussi en 1918 des socialistes allemands et autrichiens rêver d’une grande Allemagne « rouge ».
C’est toute cette histoire oubliée que fait revivre avec talent Jean-Numa Ducange dans Quand la gauche pensait la nation.
Sylvain Bonnet
Jean-Numa Ducange, Quand la gauche pensait la nation, mars 2021, Fayard, 336 pages, 23 eur