Trois professeurs à la dérive… de Michel Zink
J’ai le souvenir de la voix de Michel Zink, au temps où France Culture retransmettait les leçons du Collège de France ; celui d’une voix alerte me parlant dans la nuit de littérature médiévale… Il a beau être élu au fauteuil 37 de l’Académie française, notre savant philologue clame la jouissance qu’il prend à lire, et déclare dans le titre d’un de ses livres que Seuls les enfants savent lire : « Même ce qu’il ne comprend pas, il le comprend mieux que quand il comprendra”, car il y met son imaginaire et ses rêves.
On comprend donc que la glose savante où il excelle n’ait pas suffi à le contenter : il fallait qu’il plonge dans le bain ! Qu’il écrive, lui aussi ! Il s’y est essayé plus d’une fois, notamment avec les trois histoires policières rééditées dans un récent Folio.
Arsène Lupin et le mystère d’Arsonval
La première histoire est une fantaisie où notre auteur s’est permis de jouer avec Arsène Lupin. Nous sommes au début du siècle, au temps du capitaine Dreyfus. A cette époque on lève facilement la jambe, et les mœurs se diluent : c’est le début de la modernité ! Je n’en dirai pas plus…
Un portefeuille toulousain
La seconde se déroule au sortir de la guerre. La grande, la mondiale qui ne fut pas la « der des der » et ne le sera sans doute pas… Les souvenirs de trahison, de résistance et de collaboration sont vivaces, les secrets volent bas. Michel Zink joue avec maestria des imbroglios qu’il se plait à inventer. Il vous faudra atteindre la dernière page pour que l’énigme soit enfin résolue. Bien sûr de façon inattendue. Notre auteur s’est complu à dresser le portrait d’un professeur qui rêve des palmes académiques… Soit il a résolu de se moquer de lui-même dans un beau geste d’autodérision, ce qui me parait un sain exercice, soit il a pensé à d’anciens collègues… puisque, pour chacune de ses trois histoires, passe et repasse toujours un de ces dignes professeurs. C’est qu’être un fonctionnaire de la littérature est un vivant paradoxe !
Bérets noirs, bérets rouges
Dans la troisième histoire policière, nous sommes en pleine guerre d’Algérie, au temps des tortures françaises et des attentats de l’OAS, certains portent des bérets noirs, d’autres des bérets rouges (qui nous dira, nostalgique, que « avant c’était bien ? »). Michel Zink s’amuse à nous conduire de rebondissement en rebondissement, de fausse piste en fausse piste…
Il adore faire durer le plaisir. Le sien plutôt que celui du pauvre lecteur qui bout d’impatience… Il nous fait cruellement piétiner dans des descriptions sans fin. C’est que, en amoureux de la langue, en obsessionnel du détail, il aime chacun des mots qu’il égrène benoîtement… Serait-il légèrement pervers ? Gentiment, bien sûr. Puisqu’il faut bien pimenter les affaires policières, ou d’enquête, telle est la loi du genre…
Lecture faisant (cette expression n’est pas encore académique…), on se rend compte que Michel Zink a réussi à dresser le portait de trois époques, à en restituer l’ambiance. Ce n’est pas le moindre de ses talents.
Mathias Lair
Michel Zink, Trois professeurs à la dérive, Gallimard Folio, novembre 2024, 544 pages, 9,90 euros