Mindhunter, la surprise Netflix de l’automne

Alors que nous piaffons d’impatience dans l’attente de la deuxième saison de Stranger Things — le 27 octobre —, nous aurions tort de passer à côté de Mindhunter, nous narrant la génése du profiling des tueurs en série par le FBI.

« Diantre, fichtre et cornegidouille ! Encore une création sur un sujet usé jusqu’à la jante ! » s’offusqueront la femme et l’homme de goût, exaspérés par la pléthore de morts-vivants et zigouilleurs sériels envahissant à l’envi petits et grands écrans.

On se calme.

Regardons d’abord qui produit la chose. Deux noms sautent alors aux mirettes : l’extraordinaire Charlize Theron (on va regarder Monster et vite !) et le talentueux David Fincher, dont ce n’est pas la première incursion télévisuelle puisqu’on lui doit aussi House Of Cards.

Et si l’on dit Fincher, un titre surgit alors dans l’esprit du cinéphile bon teint : Zodiac. Film impressionnant par trois aspects : la qualité de la reconstitution de l’époque, un casting parfait en tout point et une esthétique de très haute tenue.

Qualités que l’on retrouve dans cette série, inspirée du livre Mind Hunter: Inside The FBI’s Elite Serial Crime Unit de Mark Olshaker et John E. Douglas, qui, a bien des égards, va bien plus loin que le film pré cité.

 

 

Mindhunter, c’est froid. C’est lent. C’est beau.

Je dois dire qu’il y a de quoi être admiratif. On a rarement vu — à l’exception de la superbe série britannique Utopia que Fincher a d’ailleurs tenté d’adapter aux USA — un tel souci de la forme. Les couleurs un peu passées, froides, la caméra peu mobile, la composition des plans (les scènes d’ascenseurs sont remarquables d’efficacité et de simplicité) concourent à créer une ambiance toute au service d’un sujet par ailleurs assez réfrigérant (je laisse à d’autres le terme « glaçant », ils l’utilisent mieux que moi).

Ainsi, dans la forme comme dans le fond, nous assistons à un spectacle à la lenteur et à la froideur calculées mais indispensables à une narration qui s’attarde sur ses personnages (gros plans, plans fixes) et le récit de meurtres sordides en refusant toute forme de spectaculaire qui serait, de toute façon, fort malvenue.

Les non-dits ont aussi leur importance : des sourires esquissés ça et là, des regards lourds de sens échangés entre les protagonistes, un flic qui, la gorge nouée, ne peut aller plus loin dans la description du massacre d’une jeune femme, participent d’une atmosphère pesante qui accompagne un développement tout en noirceur, subtilité et intelligence.

 

 

That 70’s Show.

L’autre aspect remarquable de cette série, c’est sa capacité à faire renaître la fin des années 70. La bande-son est, à ce titre, remarquable : Led Zeppelin, Fleetwood Mac, 10CC, ou l’inévitable Psycho Killer des Talking Heads, une bonne partie du catalogue Classic Rock de l’époque est ainsi mis en avant. On s’en régale malgré quelques anachronismes qu’on pardonnera aisément (Hold the Line de Toto, par exemple, c’est 78, pas 77. Non mais).

Mais la précision de la reconstitution ne s’arrête pas là. Tout est rigoureusement rendu, de l’habillement en passant par les gigantesques voitures qui auront bercé l’imaginaire des jeunes cinquantenaires nourris aux Mannix et autres Starsky et Hutch, sans oublier le tabagisme éhonté des personnages dans les lieux publics. O tempora, o mores…

Nous ne nous plaindrons donc pas du perfectionnisme de Fincher, c’est ce qui fait de lui – à l’instar d’un de ses maîtres, Stanley Kubrick – un réalisateur et un producteur hors du commun.

 

 

Archétypes

Comme souvent quand on parle de séries et de films américains, on est frappé par l’aspect parfois symbolique des personnages. C’est la cas ici, mais quelque peu poussé à l’extrême à tel point qu’on parler d’archétypes. Dans quel but ? Probablement celui de donner une dimension exemplaire — dans tous les sens du terme — à des caractères que n’auraient pas renié La Bruyère, en d’autres temps et registres, et frapper ainsi durablement l’imaginaire des spectateurs.

Le Bleu-bite : Holden Ford, est l’incarnation du jeune agent bien sous tout rapport : impeccablement mis, discipliné et respectueux de la hiérarchie, il montre toutefois une curiosité et une intelligence qui dépasse celle de ses aînés et le pousse à l’insolence.
Cependant, il fait montre d’une fascination dérangeante pour les tueurs qu’il étudie, faisant ainsi écho à la nôtre.

La Femme : Debbie, amante d’Holden, elle incarne cette jeune femme des années 70, active et féroce dans la conquête de ses droits, assumant une sexualité libre, usant de provocation avec humour, pendant plus viscéral de l’homme qu’elle aime.

Le Vieux-de-la-vieille : agent et formateur du FBI, Bill Tench est celui « à qui on ne la fait pas », il a tout vu, tout lu, tout bu et son expérience fait autorité. Celle-ci lui permet de voir en Holden l’avenir de sa profession. Il incarne à la fois l’ancien monde et le père.

Le Tueur : ici incarné en la personne du « Co-ed killer » Ed Kemper, « l’ogre de Santa Cruz ». Géant de deux mètres et 150 kilos tout en lenteur et calme. Le regard fixe derrière des lunettes à double foyer, il raconte avec une distance glaciale et parfois amusée les carnages dont il est l’auteur, tout en étant parfaitement lucide sur ce qu’il est.

Si tout cela peut paraître au final très cliché, il n’en est en réalité rien. L’écriture est suffisamment habile pour mettre en place une forme de lieu commun pour mieux s’en éloigner au fil des épisodes et développer ses protagonistes au-delà de ce qui a été posé au préalable.

Il faut donc s’empresser de regarder Mindhunter qui, loin des billevesées bêtement spectaculaires d’un Esprits Criminels, au hasard, créé une œuvre avant de proposer un produit, soigne la forme et le fond, en faisant un pari simple mais osé — en ces temps qui ne favorisent pas toujours l’excellence — celui de l’intelligence de son spectateur.

 

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Éric Delzard

 

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