Romain R. Martin, l’éleveur de vermines et de cancrelats
Quand un polar marque autant par l’ambiance que par la langue, c’est qu’il se passe quelque chose. C’est ce qu’il s’est passé en lisant La Dissidence des cancrelats de Romain R. Martin. Cette plongée dans un sous-terrain plein de cloportes et d’humanité, cette noblesse dans l’infamie signale un écrivain à l’univers particulièrement riche. C’est ce rapport à la langue, non pas meilleure mais différente des efforts habituels des écrivains du genre, qui nous a donné l’envie de rencontrer Romain R. Martin. Et nous avons rencontré un homme riche et surprenant.
Entretien
Les auteurs de polars cherchent en général à ce que leur livre soit dévoré, privilégiant le rythme. Ce n’est pas votre cas. Vous avez un attachement précis à la langue, au style qu’on pourrait dire classique. Comment le définissez-vous ?
Tout d’abord, merci infiniment pour vos questions. Pour vous répondre, il y a deux raisons d’avoir opté pour un style d’écriture classique dans mes romans.
La première est par amour. Une volonté de faire perdurer la langue française, par respect pour elle. La seconde est pour l’efficacité.
Selon moi, Une écriture soutenue, le sérieux de l’écriture, permet de mieux faire ressortir la noirceur, la poésie et l’absurdité des choses. Notamment lors de situations rocambolesques, c’est un excellent ressort comique.
J’aime cette alliance du tragique, du désespoir allié au sourire.
Comment est née cette histoire des deux cloportes dans le sous-sol parisien ?
Vivant dans la capitale, lors d’un déplacement, je me suis amusé à m’imaginer des sans-abris, clochards, vivant sous terre et s’étant autoproclamés agents de maintenance des métros de la RATP.
Ces parias auraient fait dissidence, sécession avec le monde d’en haut. Le nôtre.
Ils auraient instauré leur propre hiérarchie, mis en place leurs propres codes et règles, dans un monde qui nous saurait complétement étranger.
Avez-vous passé des nuits dans des entrepôts délabrés et des tunnels glauques pour capter cette ambiance particulière ?
Oui. J’ai puisé dans mes souvenirs, lorsque je passais des nuits entières à boire avec des amis au sein de certaines ruines, monuments délabrés ou endroits désaffectés. Le reste, je l’ai imaginé.
Quels sont les auteurs qui vous ont convaincu qu’il fallait écrire ? (Plutôt qu’ils ne vous en auraient détournés par le trop plein éclat de leur talent !)
En toute franchise, il n’y a pas d’auteur m’ayant poussé vers l’écriture. J’ai écrit mon premier roman, Vermines, comme mon deuxième, La Dissidence des Cancrelats, par besoin de reconnaissance. Une reconnaissance artistique, mais aussi intellectuelle.
A l’époque, un fort sentiment d’humiliation me tourmentait lié à celui de se gâcher au quotidien. Tout ceci m’a poussé à écrire.
La reconnaissance que vous avez obtenue, depuis, vous a-t-elle apportée une certaine paix intérieure ?
Elle m’a appris que cette recherche de reconnaissance était une fuite en avant. Un puit sans fond. Qu’importe la quantité d’amour ou de reconnaissance que l’on reçoit, qu’importe les louanges, Il faut d’abord apprendre à s’aimer soi-même. J’y travaille depuis activement.
Pourquoi écrire des polars ?
Même si parfois j’en utilise les codes, mes deux premiers romans ne sont pas des polars. A être classé, je préfère me situer dans le roman noir : littérature ténébreuse et humour noir. J’aime véritablement cette alliance du sourire et du désespoir.
Je vois en Vermines un thriller campagnard, et dans La Dissidence des Cancrelats, un survival romantique. Plus globalement, j’écris en définitif pour exister. Que ma sombre condition humaine est un sens.
Quels sont les livres que vous relisez ?
Je ne me suis jamais prêté à ce type d’exercice. Mais, si je devais relire quelque chose ici et maintenant, ce serait Le Petit prince de Saint-Exupéry, Voyage au bout de la nuit de Céline ou encore La Part de l’autre d’Éric Emmanuel Schmitt.
Du Petit Prince au Voyage, quel écart ! Pourquoi ces deux livres ensemble ?
Pour cet écart justement et ce petit quelque chose qu’ils ont en commun. Selon le prisme du lecteur ou le degré de lecture, Le Petit prince peut se révéler bien monstrueux et tragique. Selon moi, il est en de même pour le Voyage, qui à l’inverse, peut apparaitre d’un humanisme fulgurant et rayonnant.
Pourriez-vous nous parler un peu de votre prochain roman ?
J’en suis à la page soixante. Ce troisième roman, dont j’ai déjà le titre, cloturera cette trilogie basée sur la méchanceté, le dérisoire et l’absurde. Sans en dévoiler l’intrigue, ni les sombres personnages, nous fréquenterons divers univers dont le milieu littéraire mais aussi carcéral.
Il sera du même moule, dans la même veine que Vermines et La Dissidence des Cancrelats avec, je l’espère, un petit quelque chose en plus. Je travaille beaucoup pour cela et j’espère qu’il ne décevra personne.
Propos recueillis par Loïc Di Stefano
Romain R. Martin, La Dissidence des Cancrelats, LBS Sélection, novembre 2020, 256 pages, 14,80 eur
Romain R. Martin, Vermines, Flamant Noir, octobre 2017, 181 pages, 19,50 eur