Diên Biên Phu, les leçons d’une défaite

Journaliste, enseignant à l’école de guerre, spécialiste des questions de défense, Pierre Servent est aussi historien et auteur de biographies : citons ici celle de Rudolf Hess (Perrin, 2019) et celle d’Erich von Manstein (Perrin, 2012). Diên Biên Phu, les leçons d’une défaite est un ouvrage qui reprend certaines des analyses qu’il a développé dans Le complexe de l’autruche (Perrin, 2011) où il revenait sur cette capacité française aux défaites…

Une guerre mal menée

De fait, la guerre d’Indochine (1946-1954) se termine par une défaite magistrale. Pourquoi ? Pierre Servent retrace rapidement l’histoire de la colonisation française, qui commence par écarter la Chine, puissance tutélaire dans la péninsule avant de diriger des peuples très différents plutôt avec habileté. La montée du nationalisme et surtout la seconde guerre mondiale ruinent le prestige français dans la région. Lorsque de Gaulle envoie Leclerc et Thierry d’Argenlieu faire respecter les droits de la France, que faut-il comprendre ? Les temps ont changé, les américains ont favorisé par anticolonialisme le Vietminh, mouvement nationaliste et communiste. Face à Hô-Chi-Minh, adversaire redoutable formé au marxisme, les français commencent par se méprendre et le sous-estiment. L’homme les trompe. Il prépare la guerre tout en les endormant de belles paroles. De plus, lorsque le conflit commence, la France au fond ne sait pas quels sont ses buts de guerre : défendre l’empire ? se battre contre le communisme ? A Paris, les gouvernements se succèdent sans donner d’instructions claires et à Hanoï, les généraux se querellent. Seul de Lattre réussit un temps à stabiliser la situation, grâce à l’aide américaine. Mais il meurt et ses successeurs Salan et Navarre ne sont pas du même niveau.

Une bataille pour rien

Installer un camp retranché à Diên Biên Phu n’est pas au départ une mauvaise idée. Il s’agit de fixer les troupes viets et de les éloigner des grands centres… sauf que Giap, au courant des négociations de Genève, est prêt à employer des moyens importants pour emporter la décision. Et il sait écouter ses services de renseignement, contrairement aux officiers français, plus prompts à se quereller entre eux (Navarre ne supporte pas Cogny) qu’à étudier le terrain. Le résultat sera un désastre et beaucoup de prisonniers français ne rentreront pas, décédés à cause des mauvais traitements infligés par leurs geôliers du Vietminh. La France quitte définitivement le Vietnam en 1956 et beaucoup d’officiers en veulent à un pouvoir politique qui les a lâchés. Et c’est la guerre d’Algérie qui commence.

Sous-estimation de l’adversaire, méconnaissance de sa culture, division des chefs, conflit entre le pouvoir politique et le commandement, très grande légèreté des politiques… A lire ces lignes, on croit un moment reconnaître la situation de juin 1940. Au moment où la guerre est de retour en Europe, espérons que certaines leçons ont été tirées du passé.

Sylvain Bonnet

Pierre Servent, Diên Biên Phu, les leçons d’une défaite, Perrin, mars 2024, 400 pages, 23 euros

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