Ma sœur est morte à Chicago, sur les traces de l’enfermement des nippo-américains

Livre historique, lexique japonais, ou quête initiatique du passage à l’âge adulte ? Ma sœur est morte à Chicago de Naomi Hirahara est un peu tout cela à la fois. Et c’est avec délectation qu’on entre dans cette écriture qui nous emmène avec une grande élégance dans les bas-fonds de Chicago en 1944 au travers du personnage évaporé de Aki Ito.

Une famille japonaise en Amérique

Aki, vit depuis sa naissance dans l’ombre bienfaisante de sa grande sœur, Rose Ito, qu’elle admire autant pour sa force, son courage, sa personnalité déterminée, à l’opposé de la sienne que pour la grande sœur enveloppante qu’elle est. Rose est une combattante. C’est elle qui avait osé affronter la mère d’une petite copine de classe de Aki, quand, invitée à un anniversaire, cette dernière l’avait défendue de se baigner dans la piscine avec les autres filles. Voyant sa petite sœur revenir à la maison avec son petit sac et ses cheveux secs, Rose était allée chercher des explications et des excuses.

La famille Ito vit en Californie. Rose et Aki sont d’origine japonaise, nées en Amérique.

En 1941, après l’attaque de Pearl Harbor, toute la famille est envoyée en camp d’internement. Rose est la première à quitter le camp pour reprendre une vie plus ou moins normale, à Chicago. Quand le reste de la famille la rejoint, Rose est tombée du quai d’une station de métro, fauchée par un train, morte sur le coup. Selon les autorités, Rose se serait suicidée. Aki n’y croit pas une seconde.

Une histoire au service de l’Histoire 

Naomi Hirahara s’est énormément documentée pour mettre en lumière l’histoire des nippo-américains, très peu connue. La famille Ito voit s’écrouler tout ce qu’elle a construit en Californie, à Tropico, lors de l’attaque de Pearl Harbor. Les Japonais vivant aux Etats-Unis sont suspectés alors de défendre cette attaque et d’être ennemis de la Nation. A ce titre, ils sont tous contraints de quitter leurs maisons, leurs emplois pour vivre comme des reclus dans des camps aménagés en attendant que l’Amérique juge de leur sort. Il s’agit d’une vraie mesure discriminatoire et raciale… Les Ito sortiront de ce camp amoindris, avec toute une vie à reconstruire. Pour celles et ceux qui ignoraient cette partie de l’Histoire, la quête de Aki nous plonge au cœur d’un désastre, qui bien que loin de la barbarie, n’en atteint pas moins la dignité humaine.

Tout au long du roman, Naomi Hirahara nous fait entendre la langue japonaise. Chaque chose, chaque idée, chaque sentiment a sa traduction en japonais. Cette dentelle dans l’écriture de l’autrice est comme une volonté d’immerger le lecteur dans la double nationalité de la famille Ito. 

Une jeune fille qui devient femme

En menant l’enquête pour découvrir ce qui est réellement arrivé à sa sœur, elle devient une combattante à son tour, elle sort de son statut de petite sœur, de suiveuse, d’enfant. Et tout en s’affirmant, en devenant femme, elle va tomber amoureuse. Cette histoire douce, légère, dans la noirceur de Chicago offre au personnage comme au lecteur une bulle d’air qui apaise le cœur, qui ouvre un chemin…

Alors non, l’intrigue n’intrigue pas tant que ça car il y a une certaine lenteur dans cette enquête. On se perd un peu dans les rues de Chicago mais il y a quelque chose de délicieux qui nous invite à suivre les pas de Aki. On entre dans son intimité avec une grande délicatesse et une grande retenue (l’enryo en japonais).

Ma sœur est morte à Chicago est un peu un objet non identifiable, et tant mieux. Il a cette particularité de ne pas s’enfermer dans un genre et nous entraîne avec lui sur toutes les pistes.

Élodie Da SIlva

Naomi Hirahara, Ma sœur est morte à Chicago, traduit de l’anglais (USA) par Pascale Haas, 10/18, octobre 2022, 360 pages, 15,90 euros

Plusieurs films ont été consacrés à l’internement des nippo-américains après l’attaque de Pearl Harbor, parmi lesquels on pourra citer le très beau Bienvenue au Paradis d’Alan Parker (1990) avec Dennis Quaid et Tamlyn Naomi Tomita.

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