Nathalie Achard, Les Crevards

Un atelier de coaching en visioconférence qui se termine, mais comme personne ne l’avait prévu. Un coach qui peine a garder stable sa propre vie privée et à garder le contrôle de ce moment où il avait tout prévu, sauf tout ce qui va se passer… Des débordements qui tournent à la catastrophe. Bienvenue dans Les Crevards de Nathalie Achard.

Vous reprendrez bien une dernière séance de coaching ?

Après un petit-déjeuner en famille où les tensions ne se retiennent même plus, Éric grimpe dans son bureau au grenier de la grande maison et se prépare à la dernière journée de sa semaine de coaching. C’est un maître du contrôle et de la gestion de la montée en compétence, et cela va être son grand final. Il a même prévu quelques surprises, voire piéger un de ses proches qui s’est inscrit pour participer comme les autres. Rien de bien méchant.

Mais plusieurs petits éléments vont venir gripper sa machination. Un intrus qui s’est inscrits sous un faux nom et qui se dresse devant lui comme un reproche silencieux. Un rien d’agacement de sa part suite à un conflit personnel qui vient montrer que, peut-être, il n’est pas le modèle qu’il tend aux autres. D’autres petits grains, encore. Mais surtout un intrus, un vrai, qui se glisse derrière l’écran et, se saisissant d’une lame…

Nathalie Achard aime perdre son lecteur dans des faux semblants, installer une situation connue et la faire littéralement éclater. Après Week-end entre amis, où elle démontait l’archétype de l’histoire des amis de longue date réunis pour un week-end festif, et qui tourne assez vite à l’étalage plus ou moins aimable des vérités, en finissant bien. Finir bien, pour une histoire de Nathalie Achard ? C’est l’avoir mal lu !

Un art du récit

Éric, qu’est-ce que c’est… là… derrière toi ?

L’intelligence du récit tient aussi sur la focalisation multiple qui crée un huis clos fragmenté très réussi. Encore un huis-clos, et encore une manière tout à elle de le maîtriser. Les différents angles de vue sont limités pour chacun à la caméra de l’ordinateur des autres, si bien que tout ce qu’il se passe hors champs est source d’angoisse. Personne ne voit tout, personne ne comprend tout, pas même le lecteur ! Et chaque personnage est si bien construit que le lecteur finit par avoir des angles de vue multiple, comme s’il faisait corps avec chacun des protagoniste de cette farce qui finit par n’en être plus une, du tout…

Les Crevards est un roman réjouissant et est un piège tendu au lecteur, dans lequel il s’enfonce avec une joie jamais fausse. Mais fausses, en revanche, sont ces situations où les uns et les autres jouent un rôle, entendent profiter d’un pouvoir qu’ils se sont eux-mêmes donné, pour asseoir leur domination sur plus faible qu’eux. La marque de fabrique de Nathalie Achard, personnalité ô combien engagée, est d’ourdir une histoire pour faire qu’éclate l’évidence, plutôt que de dénoncer laisser le lecteur en prendre conscience. Plus que les sentiments des protagonistes, leurs petits secrets, leurs failles et ce qui les anime, que le lecteur découvrira, c’est la critique acerbe des relations fausses et des jeux de pouvoir liant les uns et les autres qui est au cœur de cet incroyable roman. Une immersion dans l’esprit de certains, qui donnent au qualificatif de crevards tout son sens, ceux qui abusent du pouvoir qu’ils s’octroient. Un régal !

Loïc Di Stefano

Nathalie Achard, Les Crevards, J’ai lu, mars 2024, 288 pages, 8,40 euros

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