L’Alcoran, la rencontre de l’Europe et de l’Islam
Un historien de l’Islam
Chercheur à l’université de Marseille, maître de conférences, Olivier Hanne est titulaire d’un doctorat qui portait sur la formation du pape Innocent III (1198-1216), grand champion de la lutte contre les hérétiques et initiateur du 4e concile de Latran. Il lui a aussi consacré une biographie chez Belin en 2012. On peut aussi signaler parmi ses publications un ouvrage sur l’Etat islamique cosigné avec Thomas Flichy de la Neuville ou La Guerre au Moyen-âge. Il publie L’Alcoran, dont le sous-titre « comment l’Europe a découvert le coran » annonce la couleur.
Un texte longtemps méconnu
Les invasions (pour l’Espagne wisigothique) ou les raids arabes (pour le royaume franc) caractérisent le VIIIe siècle. On ne peut pas dire que le Coran (ou « Alcoran » comme on le désignait à cette époque) soit connu des clercs occidentaux. Il faut dire qu’il est alors encore en pleine définition. De fait, ce livre démontre avec justesse que l’Islam et sa doctrine ont d’abord été connus par des textes polémiques byzantins en langue grecque (peu maîtrisée durant le haut moyen-âge). Plus on avance dans le livre, plus on découvre des clercs occidentaux avides de découvrir la science grecque, très présente dans le monde arabe d’alors. Mais voilà, la connaissance de l’arabe est une barrière, peu à peu franchie grâce à l’apport de lettrés issus des « zones frontières » comme la Sicile ou Al-Andalus. Ainsi à Cluny on finit par trouver des « arabisants » !
De la difficulté des échanges culturels
L’un des grands intérêts de ce livre est de démontrer la difficulté d’obtenir un exemplaire du livre sacré des musulmans puis de le traduire en latin. L’arabe, langue très influencée par le persan, l’hébreu, le syriaque et le grec, est très difficile à traduire : quid des voyelles, quid de la scansion ? Les chrétiens occidentaux peinent aussi à comprendre une doctrine parfois proche mais souvent trop exotique. Ainsi, les européens prennent les musulmans pour des obsédés sexuels et le cliché de la femme arabe lascive nait dès le Moyen Âge. Pour autant, des moines et des laïcs voyagent, y compris lorsque l’orient arabe devient turc. Vaille que vaille, un dialogue s’instaure par-delà les guerres et les velléités de conversion mutuelle. Bien des chrétiens reconnaissent aux musulmans d’avoir en partie accès à Dieu et l’Arabe accède à un certain prestige. Mais l’incompréhension demeure. Surtout lorsqu’on a en tête que toute interrogation sur le texte du Coran devient impossible à partir des IXe et Xe siècles.
Lorsque la colonisation commence au XIXe siècle, les européens sont donc bardés des clefs d’interprétation biaisés légués par cette époque. Et pourtant on ne peut rejeter tous ces clercs qui ont essayé de comprendre le Coran et le monde musulman car nous sommes culturellement leurs héritiers. C’est l’un des grands atouts du livre d’Olivier Hanne de nous le faire entrevoir.
Sylvain Bonnet
Olivier Hanne, L’Alcoran, préface de John Tolan, Belin, août 2019, 688 pages, 28 eur