Les si précieux Exorcismes spirituels de Philippe Muray

Pendant presque vingt ans, de  1987 à 2005, Philippe Muray a écrit des chroniques régulières, qui ont été publiées dans divers journaux, Le Figaro, Le Point, Marianne, la Montagne, et dix autres. Il s’agit de textes de longueur variable, portant sur des sujets également variés, le sport, la musique, la culture, le temps qui passe, l’évolution de la société, la vie comme elle va, ou plutôt comme ne va pas bien. Mais ils ont tous un point commun, c’est l’ironie mordante qui les habite, et qui donne à ces chroniques l’allure d’une satire, parfois féroce, de notre monde. 

être malade d’une époque malade

Le titre « Exorcismes spirituels » doit être regardé de près. Sans doute, Muray exorcise son amertume et ses déceptions, avouant « être malade d’une époque malade ». Quant aux « spirituels », on ne conteste pas qu’il s’agit bien des choses de l’esprit, mais teintées d’un humour si volontaire, qu’il est normal de les trouver assurément spirituelles. Ce dont l’auteur convient avec cette confession finale : « J’ai essayé d’être drôle ». 

Reste que Philippe Muray n’y va pas par quatre chemins, quand il s’agit de nous faire partager ses détestations, ses critiques, et ses têtes de turcs. Il ne fait pas bon être dans le viseur de ce chasseur redoutable. Ainsi de Bernard Pivot, coupable « d’avoir mortellement porté atteinte à la dignité de la  littérature », accusation qui précède douze pages d’un éreintement carabiné. Jeff Koons, auteur d’une infantile « structure métallique pesant deux cent cinquante tonnes de connerie » ! Ainsi de sa visite à Eurodisney, et de son commentaire sur la « disneylandisation » de la société, qui vaut son poids de moutarde. Ainsi de quelques célébrités politiques ou autres, telles Mitterrand, Makine, Jack Lang, Delanoé, en procès pour une bonne raison. 

A l’inverse, et c’est peut-être là qu’il est le meilleur, Muray souligne des attachements fidèles pour des auteurs qui accompagnent sa vie, comme Rabelais, Nietzsche, Giono, Houellebecq ou Céline. On ne compte pas moins de 36 pages consacrées à Delacroix qu’il adore, et qui font de lui un fameux critique d’art.

Tout n’est donc pas noir dans cette œuvre, où éclate un bel amour de la vie, malgré les dérives du « festivisme », cette obligation de faire la fête à travers commémorations, célébrations, festivals, et autres Gay Pride, sujets douloureux, s’il en est, sous sa plume. 

digne héritier d’une grande lignée

Philippe Muray n’est pas le premier qui confie ses états d’âme, d’une plume aussi alerte qu’acide. Morand, Vialatte, Desproges, et d’autres, ont aussi leur club de supporters. Le genre n’est pas nouveau, et il est sain de pouvoir lire, librement, un écrivain libre de pouvoir tout dire. Même et surtout quand il s’en prend avec justesse aux délateurs patentés, intellectuels grognons, ces « propagandistes de la nouvelle foi, scouts de la bonne pensée ». « Mouchardage et cafardage sont leurs deux mamelles », conclue-t-il dans un chapitre particulièrement gratiné. 

On ne saurait conseiller au lecteur d’avaler d’un trait les 900 pages de ces « Exorcismes », riches de belles pépites, mais inévitablement entachés de méchancetés un peu systématiques, voire de mauvaise foi. On lui pardonnera au titre de cette confidence, échappée d’une envolée un peu lyrique « J’exagère, évidemment ». Mais faute de lire ces pages comme un roman, on pourra s’essayer à un autre rythme : une petite chronique le matin, pour passer une bonne journée, ou bien le soir, à la veillée, qu’on sirote comme un vieil armagnac.

Pour qui aime l’esprit français, c’est une gourmandise de fin gourmet ! 

Didier Ters

Philippe Muray, Exorcismes spirituels, Perrin, « tempus », septembre 2020

  • tome 1,400 pages,   9 eur
  • tome 2,500 pages, 10 eur

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