Nos petites patries : Identités régionales et État central, en France, des origines à nos jours

Un historien qui va hors de sa spécialité

Le public a surtout retenu d’Olivier Grenouilleau son travail sur la traite négrière. Avec Les Traites négrières, essai d’histoire globale (Gallimard, 2004), il a été accusé, notamment par Claude Ribbe et Christiane Taubira, de minimiser le crime de la traite et de l’esclavage pratiqué par les occidentaux. Il est vrai qu’il reprenait le chiffre de 14 millions d’africains réduits en esclavage par des marchands arabes alors qu’il s’agit d’estimations. Plus récemment, on lui doit La Révolution abolitionniste (Gallimard, 2017) et Quand les européens découvraient l’Afrique (Tallandier, 2017). Avec Nos petites patries, il s’attaque à un autre sujet polémique, celui des identités régionales et du régionalisme.

Provinces et régions

Selon Olivier Grenouilleau, terroirs et provinces viennent de loin, parfois issus des pagi gallo-romains. Contrairement à une idée reçue, la monarchie créée elle-même les provinces dans bien des cas pour remplacer les anciennes principautés et canaliser les velléités de l’aristocratie. 1789 marque cependant une césure en permettant à des projets parfois anciens (démantèlement des pays d’Etat, rationalisation de l’administration) de voir le jour, avec notamment la départementalisation et la centralisation, renforcée par la guerre à partir de 1792.

Au XIXe siècle, les républicains s’emparent du thème de la province, réclamant notamment les libertés nécessaires (élection du maire par le conseil municipal notamment. A la fin du siècle, lorsque la IIIe République est désormais bien installée, on assiste à la naissance du régionalisme et de l’idée selon laquelle l’amour de la petite patrie nourrit celui porté à la grande nation. Des hommes comme Clemenceau, Aristide Briand se déclarent partisan du fédéralisme et le félibrige incarné par Frédéric Mistral est à son zénith.

Régions et décentralisation

L’identité est multiple, dynamique et en perpétuelle recomposition, telle est la clef de ce livre. Le régionalisme est contesté durant l’entre-deux guerres et certains de ses partisans entament des liaisons dangereuses avec des mouvements extrémistes qui lui mèneront jusqu’à la collaboration avec les nazis. Pour autant, on voit le parti communiste, en Alsace ou en Bretagne, s’emparer du sujet. Si Vichy s’intéresse au problème, c’est le général de Gaulle qui à la fin des années soixante s’empare du thème, plutôt dans le sens de la déconcentration administrative.

Olivier Grenouilleau mentionne avec pertinence l’action de la deuxième gauche et de Michel Rocard pour acclimater l’idée de décentralisation et reconnaissance des cultures régionales dans l’opinion. La loi de 1982 change l’organisation administrative française, suivi par celle de 2002 puis de 2015 redéfinissent les limites des régions et leurs compétences. Mais quid du régionalisme et des identités corses, alsaciennes ou bretonnes ? Elles se recombinent, évoluent…

Voilà un essai intéressant sur un sujet porteur de bien des débats…

Sylvain Bonnet

Olivier Grenouilleau, Nos petites patries : Identités régionales et État central, en France, des origines à nos jours, Gallimard « Bibliothèque des histoires », février 2019, 288 pages, 22 eur

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