The Fabelmans, un film de Steven Spielberg

Aujourd’hui encore, des puristes condamnent l’anglicisme consistant à employer le verbe réaliser dans le sens de prendre conscience de. Mais, pour Spielberg, c’est bien en réalisant et seulement en réalisant qu’on peut appréhender la réalité. En réalisant, bien sûr, des films.

The Fabelmans, qui sort en France cette semaine, a été un énorme échec commercial aux États-Unis. Et c’est très bien ainsi.

C’est très bien ainsi parce que, si ce nouveau film de Spielberg s’était classé dans les top ten, il se serait retrouvé à côté de films comme Dr. Strange 2, monument de bêtise hurlante et de confusion triomphante. Cette indignité lui a été épargnée.

Mais l’ironie de l’histoire, c’est que, contrairement à ce que lui-même a pu laisser entendre (et qui a sans doute refroidi les kids), Spielberg ne propose pas avec The Fabelmans les souvenirs d’enfance et de jeunesse du septuagénaire qu’il est devenu. Pas seulement, en tout cas. Lui aussi, comme beaucoup d’autres réalisateurs aujourd’hui, invite le spectateur à plonger dans un métavers. Mais ce métavers n’a pas grand-chose à voir avec celui de Ready Player One. C’est le seul, le vrai métavers — celui de l’art. The Fabelmans, à bien des égards, est un film proustien, qui nous dit et nous prouve que l’art, en l’occurrence l’art du cinéma, nous permet, en offrant une vision déformée de la réalité, d’avoir de celle-ci une vision plus exacte, plus juste que celle que nous avons quand elle est sous notre nez.

Tout commence par un home movie en apparence bien innocent. Une partie de campagne gentillette avec le père, la mère, les enfants et l’ami de la famille. Seulement, quand il monte ce film et revoit sur sa moviola certaines de ces images qu’il a lui-même tournées, le jeune Fabelman découvre que, même s’il ne se passe « rien » à proprement parler, sa mère a pour l’ami de la famille une attirance qui dépasse la simple amitié. 

Mais l’art se mêle aussi de révéler la réalité — et, dans un certain sens, de la modifier — par des moyens plus inattendus, plus détournés. Au lycée, le jeune Fabelman est victime d’un nazillon qui se croit plus fort que les autres, et bien entendu plus fort que ce petit juif qui le filme quand il participe à une course sur la plage. Mais… surprise lorsque le film est projeté devant tous les élèves : loin d’avoir cherché à se venger du nazillon en le ridiculisant, Fabelman a fait de lui sur l’écran un dieu du stade tout droit sorti d’un documentaire de Leni Riefenstahl. Pouvait-on imaginer plus beau cadeau fait au « surhomme » du lycée ? Mais le cadeau est empoisonné : le surhomme en question, qui, malgré tous ses défauts, n’est pas complètement idiot, comprend qu’il n’est pas et qu’il ne sera jamais l’égal de cette image de lui-même qui est présentée sur l’écran. Et, parce que, comme disait Lacan, le réel, c’est ce qui résiste, tout d’un coup pour lui tout s’écroule. Rarement le cinéma avait produit autant d’effet aussi vite — la séquence en question ne dure que quelques minutes.

The Fabelmans se termine par une rencontre entre le jeune garçon et John Ford, le second révélant au premier le secret de l’art en trois mots que nous ne dirons pas ici. Mais, pour être franc, tout était déjà dit dans le titre : Fabel, c’est la fable, autrement dit un récit imaginaire, peuplé d’êtres bidon et d’animaux qui parlent, mais qui ne cesse de nous renvoyer à ce que nous sommes. Détour par le faux qui constitue le plus droit chemin vers le vrai.

FAL

Steven Spielberg, The Fabelmans, sortie en salle février 2022, durée 2h31, avec Gabriel LaBelle, Michelle Williams, Paul Dano

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