Qu’est-ce que le populisme ? Un épouvantail utile

L’Europe des intellectuels

 

Il s’agit ici d’un texte de Jan Werner Müller, intellectuel allemand dont les lecteurs français ont pu lire Carl Schmitt : un esprit dangereux (Alma, 2007), Difficile démocratie : les idées politiques en Europe au XXe siècle (Alma, 2013). Qu’est-ce que le populisme ? a été traduit chez Premier Parallèle en 2016. Müller s’y essaie à dresser une typologie de ce mouvance politique qui remporte des grands succès (2016 a vu l’élection de Donald Trump), à comprendre ce phénomène pour ensuite mieux le contrer.

 

Le populisme n’est pas un fascisme

 

On saura gré à Müller de bien distinguer ces deux phénomènes politiques, tant le qualificatif de « fasciste », galvaudé par l’ultragauche, empêche de bien distinguer la particularité populiste. Avec précision, il retrace la généalogie d’un phénomène qui n’est pas nouveau. Les Etats-Unis ont connu ainsi des poussées populistes au tournant des XIXe et XXe siècles, ainsi que pendant la crise des années 30. On peut définir les populistes comme ceux qui se proclament les « vrais » représentants du peuple, en opposition aux partis traditionnels. C’est ainsi que Viktor Orban se présente en Hongrie, avec le succès qu’on lui connaît. De même pour Beppe Grillo et son mouvement Cinq étoiles.

 

Une forme de démocratie particulière

 

Le populisme a un rapport étrange avec la démocratie et l’état de droit. Maniant l’excommunication et la diatribe, le populiste intente des procès en légitimité aux autres partis et livre des combats avec les hautes instances juridictionnelles, soit en les réformant à son profit, soit en y installant ses affidés, soit en les supprimant. Les populistes, nous explique Müller, proclament entretenir un rapport étroit avec le peuple et apprécient les référendums. Soit. Rien de nouveau ici. Mais pourquoi surgissent les populismes ? Müller, avec du courage, relie leur apparition au délitement des partis traditionnels, en particulier le déclin de la sociale démocratie. Constat valable pour l’Allemagne, l’Autriche mais quid de la France ou des Etats-Unis qui n’ont jamais connu ce type de mouvement ?

 

L’Europe, ce grand vide

 

Müller a conscience confusément tout au long de son ouvrage que le rapport à l’Europe et à la mondialisation constitue un des fondements du moment populiste actuel. L’unification européenne a transféré à Bruxelles une grande partie des instruments de la souveraineté, y compris la monnaie. Mais l’Europe actuelle, dans son fonctionnement, n’est pas démocratique. La politique à l’égard de la Grèce, par exemple, l’a bien montré. Pour Müller, il suffirait de rendre l’Europe démocratique pour contrer le populisme. Mais les européens le veulent-ils ? Si, sans conteste, aucun pays ne veut à ce stade quitter l’UE (l’exemple anglais devrait cependant faire réfléchir), aucun ne désire approfondir un processus d’intégration auquel les français ont dit non en 2005, un non qui fut ignoré ensuite… On pourrait même avancer que l’Europe actuelle se construit sur un déni démocratique et se sert des populismes au final. Et on aurait aimé que Müller s’intéresse aussi à cet aspect des choses.

 

 

Sylvain Bonnet

 

Jan-Werner Müller, Qu’est-ce que le populisme ?, traduit de l’allemand par Frédéric Joly, Gallimard, « folio essais », janvier 2018, 208 pages, 6,60 euros

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