Rappeler les enfants par Alexis Potschke : le collège a son roman !

Une premier roman, un coup de maître !

Récit des années collège vues à hauteur d’un jeune professeur, Rappeler les enfants, premier roman dAlexis Potschke, publié aux Éditions du Seuil, fait mouche. Et vous touchera à tous coups !

Contexte :

Fraîchement devenu professeur de lettres, Alexis Potschke débute son parcours par un poste que beaucoup redoute. La banlieue. Et ici, au nord de Paris, c’est un univers propre. Un écosystème même. Qui telle une terra incognita (ici habitent les monstres !) est brandie par le “système” comme une épreuve du feu. Formatrice, salvatrice. Destructrice parfois.

Alors, petit soldat héritier des hussards noirs de Jules Ferry, Alexis Potschke s’y colle. Les mains moites et l’âme tremblée. Celles des premières fois. Mais entre l’angoisse des débuts et la force de la fin, où il est devenu ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre, nous assistons à un voyage en Pédagogie. Jamais en démagogie. Un de ceux où, repu, empli d’un sentiment indéfinissable, nous savons que nous avons assisté, en complice, à un de ses tours de magie que seule la vie, et par corollaire son émanation poétique : la Littérature, peut nous offrir.


Alexis Potschke, Photo Astrid Di Crollalanza/ Le SEUIL

Houda venait en classe avec son auxiliaire de vie scolaire et ses parents ne la laissaient pas prendre seule le bus, oui, mais Houda aime lire et ça vous emmène parfois plus loin qu’un bus.

p194

Faîtes vos classes !

Mais d’abord, pour ne pas trahir ce texte si fort et si vivant, une petite histoire. À la manière d’Alexis Potschke. Car, avant que d’être heureusement publié, l’auteur essaya son style et ses textes, en publiant des chroniques sur Facebook. Et c’est par ce médium, si décrié, qu’il se lance en écriture. Car les réseaux sociaux, lorsqu’ils deviennent un club réellement immersif d’échanges et de découvertes, sont une boîte aux trésors, un paquet surprise où le meilleur advient. Aussi.

C’est là, par cet effet propre à la sérendipité des fils suivis, que je me mets à lire ses chroniques, il y a deux ans déjà. Et la magie de fonctionner. Immédiatement. Car il est rare de lire et de le savoir tout en le lisant, que le texte qui se déroule devant nous, entre en harmonie avec son lecteur. Ouvre une chambre d’échos. Subtils, furtifs. Puis puissants et immarcescibles. Vos souvenirs, vos émotions d’enfants, du collégien que l’on était alors, sourdent soudain. Mais, aussi, (surtout ?), ces échos résument tout autant cet adulte que vous êtes devenu depuis. Parent ou pas. Mais qui, avec une évidence qui vous gifle crûment, se rend compte, qu’il lit, enfin, des mots justes. Et beaux. Et forts. Qui disent tant de ce qu’il ressent depuis si longtemps. De ce qu’il pressent toujours. Surtout.

Elsa s’est mise à crier, subitement, de sa petite voix qui fait une aiguille dans les murmures et les silences, non, pas une aiguille, une foultitude d’aiguilles, une gloire ; puis tout à coup son menton s’est baissé — la résignation — et s’est relevé de nouveau : la colère. Alors le son de sa voix a tout englouti – il ressemblait à la poésie, il était la poésie, quelque chose qui toujours a existé et existera toujours, quelque chose de neuf et de très ancien -, tout a disparu, et tout est devenu Elsa.

p246

Et les enfants, enfin.

Car pour bien transmettre, il n’y a pas de bonnes recettes. D’abord, il y a des rencontres et des volontés. Dépasser les préjugés, les clivages, les a priori. Ceux qui semblent menacer, tel l’épée de Damoclès, la gente éducative la plus engagée comme la plus éreintée. Consubstantiels du métier de professeur. Mais aussi notre boulot d’adulte. Notre rôle de parent. À tous. Car être tuteur demande des racines. Et les enfants sont nos graines. TOUJOURS nous devons en prendre soin !

Ainsi, Alexis Potschke, offre une immersion au-delà d’un récit de vies, d’une énième autobiographie littéraire. Un sacerdoce professoral. Magnifié par la certitude, justement, que, rien, JAMAIS, n’est gagné d’avance. Ni pour le professeur. Ni pour les élèves. Mais que, OUI, ça vaut le coup !

Ainsi, les collégiens qu’il révèle à nos yeux dans ses tableaux, avec ses mots, deviennent la vraie matière qu’il enseigne. Le difficile apprentissage de la profusion. La connaissance, LES connaissances, de soi et de l’autre. Touchez du doigt, par des savoirs magistraux qui vont du COD à la subtile différence entre comique et humour chez Molière, la substantifique moelle chère à Rabelais : transmettre, c’est grandir à plusieurs.

Une liste à la Prévert

On ne pourra pas, alors oublier nombre d’épisodes de ce roman. Car, oui, EST roman ce livre, où fusionnent les collégiens croisés par Alexis Potschke dans sa jeune carrière IRL. EST Littérature, ce souci de dire, en mots pesés et cristallins, la tessiture des vibrations qui parcourent en permanence, telle une partition, l’intimité d’une vie de classe. Les joies, les chagrins. Les colères et les rires. Accrocs vous serez, sans nul doute ! À suivre, en mode série, les aventures des élèves et de leur professeur. Alexis Potschke est attentif, attentionné surtout.

Et pour vous donnez envie de lire ce livre, voici, en mode inventaire à la Prévert, quelques unes des saynètes, heureuses souvent, douloureuses parfois, quelques uns des personnages, explosifs ou discrets, que vous croiserez dans Rappeler les enfants ! Car pour moi, un rappel, c’est un BIS au théâtre. Sans doute aucun, Alexis Potschke, vous et vos personnages, votre texte et votre humanité, le méritez amplement.

Révérence et chapeau bas Monsieur !

  • La chorale et la petite Wided.
  • Abdelkrim et son père.
  • le français de Majda.
  • Les attentats, la liberté ; Rédouane , julia et toute la classe.
  • Madame Soares, le train, le café de la gare et la salle des profs.
  • Hasna, sa mère et les T-shirts.
  • Roméo et Juliette.
  • La lecture polyphonique du poème Barbara.
  • Le ramadan, le carême et l’arbre des religions.
  • Les colères et les jurons de Mélanie.
  • La triche de Dina.
  • Keyvan, des souris, des hommes et Steinbeck.

Et parce qu’il y en a un qui est particulièrement révélateur :

  • l’anniversaire surprise du professeur, son discours, et la petite Elsa. (elle a simulé une crise de larmes pour piéger son professeur de théâtre).

Bien sûr, au club théâtre, c’est facile d’aimer son métier. Mais quand mes élèves sont pénibles, même quand ils me fâchent, je suis toujours content de les retrouver. Ce qu’il y a de bien avec mon métier -, c’est qu’il change tous les jours[…].


Quand je suis avec vous, que l’on discute, que l’on répète et que j’essaie de vous apprendre des choses, que j’ai le bonheur de vous voir apprendre, que je vous vois grandir aussi, j’ai l’impression, moi, d’apprendre aussi, d’apprendre de vous. Vous, vous qui êtes là et qui m’écoutez, vous êtes mon antidote au temps qui passe, parce que le temps a du sens, maintenant, et je crois que c’est ce qu’il lui manquait. C’est pour ça qu’il me faisait peur.
 
Alors je n’attends plus les cadeaux, et ça ne reviendra pas, je n’attends plus rien, mais je n’en ai plus peur, de mon anniversaire, parce que je n’ai plus peur de vieillir.
 
Vous savez, depuis que je suis professeur ; depuis que je côtoie mes élèves — et mes élèves, ce ne sont pas que mes cent vingt élèves, ce n’est pas que ceux que j’ai ou que j’ai eus, ce sont tous les élèves de ce collège — depuis que je côtoie mes élèves, que je vous côtoie, vous, eh bien, voilà : j’ai arrêté de vieillir. Je ne vieillis plus, et c’est grâce à vous.
 
Et vous savez quoi ? Il faut que je vous le dise … depuis que je vous connais, vous, mes élèves, je crois même que j’ai recommencé à grandir.


« Monsieur, a dit Charlotte, monsieur, je crois qu’Elsa pleure.

pp290-291

Post scriptum :

Cher Alexis Potschke, le hasard de nos échanges sur le net, me fit découvrir non seulement votre univers, mais aussi, grâce à vos confidences, que je fus votre libraire à Blois. Quelle joie d’avoir pu, peut-être, instiller quelques lectures balises dans votre parcours littéraire.

Par contre, diantre ! fichtre ! et autres interjections de la même eau, pourquoi diable avoir appelé, dans le livre, votre ami libraire : le SOLDEUR ? En toute amitié amusée, il va sans dire…

L’humain ne peut vivre et se développer que si un autre humain met son empreinte sur lui.

Boris Cyrulnik

Marc-Olivier Amblard

Alexis Potschke, Rappeler les enfants, Éditions Du Seuil, 316 pages, avril 2019, 19 eur

Pour aller plus loin encore, la réaction de ses élèves dans sa dernière chronique.

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